Septembre 1977, des vacances scolaires un peu trop longues...
Une amie d’enfance m’a convaincue de venir faire mes premiers pas en bharatanatyam.
Avec sa maman, elles pratiquent toutes les
deux la danse avec Malavika à Paris depuis plus d’un an et m’en parlent avec
passion. Un stage a lieu à St Pierre
d’Oléron, elles ont une maison de famille à proximité.
Depuis toute petite, j’ai essayé tant de
choses : le dessin, la danse classique, la gymnastique artistique, la
musique bien sûr, car dans la famille, avec des parents qui se sont rencontrés
à 14 et 16 ans grâce à la musique, on s’accorde à la maison au son des
violons.
Violon : cadeau de Noël au pied du sapin que du haut de mes 5 ans, je n’ouvre pas, histoire de signifier silencieusement mais expressément à mes parents, que mon chemin ne passera pas forcément par cet instrument. Il me semble que l'essai n'a pas duré longtemps.
De mon coté, l'essai du piano n'est pas concluant ! L’instrument que je choisis un peu plus tard est la flûte traversière. Je prends donc le chemin du conservatoire à Viroflay pour plusieurs années. Après le décès brutal de mon professeur de flûte, la tristesse m'envahit, j’ai le sentiment d’être un peu perdue. J’aurai la chance par la suite de pouvoir prendre quelques cours particuliers à Paris avec le flûtiste renommé Pierre Séchet. Arrivée à un bon niveau, je me souviens assez précisément d’une discussion avec lui où, yeux dans les yeux, il m’a dit : « si vous voulez vraiment continuer la flûte sans éprouver de la frustration, il va falloir passer à l’étape supérieure et donc, travailler, pratiquer beaucoup plus.»
Choix.
C’est à ce moment là que le bharatanatyam entre dans ma vie.
Il m’aura fallu une seule journée de stage,
oui une seule… pour sentir qu’il se passe en moi quelque chose d’incroyable !
Bousculée immédiatement au plus profond
de moi-même. Une expérience inédite et totalement inattendue.
Ce qui se dégage de mon professeur, sa manière de nous transmettre cet art me fascine. Je passe ce stage à danser, regarder les autres danser, observer Malavika enseigner.
Emerveillement et joie.
Je me souviens encore de ma mère entrant dans
le salon où je pratiquais la danse après l’école, me disant : « il n’y a que
quand tu danses que tu souris ». Ces paroles sont restées gravées. Du jour
où j’ai commencé la danse, je n’ai fait que pousser les meubles pour pouvoir
danser tous les jours ou au pire danser dans ma chambre entre mon lit et mon armoire ! Ainsi j’ai vaincu certaines difficultés techniques. Un peu gauche,
encore dans l’adolescence, ce n’était pas facile pour moi mais j’avais décidé de mettre
tout en œuvre pour y arriver.
J’avais trouvé là quelque chose où je me sentais vivante et où j’allais pouvoir m’exprimer pleinement et librement. Dans un seul et même art, la danse, le théâtre et la musique étaient réunis. C’était parti ! Plus rien n’allait m’arrêter.
Cela faisait sens.
2/ Les débuts
De retour du stage, j'avais une seule idée en tête, poursuivre.
Malavika donnait ses cours sur Paris, j’habitais
en banlieue parisienne, j’entrais tout juste au lycée. Mes parents ont accepté
de m’offrir un cours particulier toutes les deux semaines. Pour moi, c’était LE
rendez-vous.
J’enregistrais Malavika avec mon magnétocassette à chaque cours, je pouvais ainsi pratiquer les adavus chez moi tous les jours, au son du bâton. Je tenais à avoir intégré ce qui m’avait été enseigné quand j'arrivais au cours suivant. C’est ce que j’ai fait et j’ai donc avancé particulièrement vite. Pourtant, c’était loin d’être facile, Malavika était très exigeante, je suis ressortie du cours plus d'une fois en pleurant mais sa rigueur et son franc-parler me donnaient des ailes et l’envie de me dépasser. Elle m’a aidée à grandir, à devenir femme.
J’ai donc commencé dans le style du maître de
Malavika : Sri K.G. Ellapa Mudaliar. Des chorégraphies extrêmement rapides avec
la voix sublime d’Ellapa qui chantait lui-même dans les enregistrements. Beaucoup d’émotion dans sa
voix. Particulièrement sensible à la musique, cela me touchait profondément. J’ai appris un puspanjali, un alarippu,
un jatiswaram et un shabdam.
Cette année-là a été décisive pour moi. Malavika habitait rue des Juges Consuls dans le 4ème arrondissement à Paris. Elle enseignait chez elle dans son unique et grande pièce. La fenêtre de la salle de danse donnait sur la façade arrière de l'Eglise Saint-Merry, juste derrière Beaubourg qui n'existait pas encore. Nous avons vu sortir de terre ces tuyaux de toutes les couleurs, ce qui n'enchantait vraiment pas les gens du quartier ! Elle organisait chez elle des concerts et des spectacles privés, c’est à cette occasion que j’ai vu pour la première fois Shakuntala danser. Elle revenait tout juste de ses années d’apprentissage auprès de son maître V.S. Muthuswamy Pillaï à Madras. Elle avait commencé le bharatanatyam avec Malavika.
Son récital a été pour moi une véritable révélation. Que de beauté et d’énergie !
Shakuntala
A partir de ce moment là, plus aucun doute, je voulais être danseuse !
J'ai aussi assisté à un récital de Malavika à l'abbaye de Royaumont, c'était magnifique. Finalement, j'avais eu le coup de foudre pour le Bharatanatyam sans avoir vu de spectacles au préalable. Ces deux récitals n'ont fait que confirmer mon attirance pour cette danse. C'est devenu une passion.
L’été suivant, c’est Shakuntala qui donnait le stage à St Pierre d’Oléron et Malavika a accepté que j’y participe. J'avais conscience de la notion de lignée dans cet enseignement, son importance, il me paraissait évident de lui demander la permission. A partir de la rentrée suivante, j’avais désormais deux professeurs : Malavika et Shakuntala. Shakuntala m’a véritablement prise sous son aile et m’a enseigné la danse avec une très grande générosité.
J’ai donc commencé à apprendre aussi des chorégraphies dans le style V.S. Muthuswamy Pillaï qui allait devenir mon maître deux
ans plus tard.
Cela m’a beaucoup intéressée d'apprendre une danse de répertoire comme le « shabdam » ou le « natanam adinar » dans les deux
styles, pouvoir appréhender les différences, apprendre un mallari dans le style de V.S Muthuswamy Pillaï, un puspanjali dans le style de K.G. Ellapa Mudaliar. Recevoir l’enseignement de deux professeurs n’était pas toujours confortable car leurs manières d’enseigner étaient différentes mais c’était passionnant.
Si je voulais résumer en deux mots ce qui m'a marqué le plus dans l'enseignement de chacune, je dirais pour Malavika, l'art de la présence et pour Shakuntala l'art de la danse, au sens énergie, don de soi.
Les chorégraphies dans le style d'Ellapa me paraissaient plus sobres (heureusement, vue la vitesse à laquelle elles devaient être exécutées), très musicales ; les chorégraphies dans le style de Muthuswamy Pillaï plus fournies et très riches rythmiquement.
C’est donc ce que j’ai fait. J’ai passé mon
bac puis j’ai travaillé l’été suivant afin de financer moi-même mon premier
voyage en Inde et à 19 ans, bac en poche, je suis partie seule, la boule au ventre mais très
excitée, direction Madras, via Bombay.
Shakuntala m’attendait là-bas pour me présenter à son maître.
3/ Le choc !
Le moment tant attendu est arrivé !
Août 1980, départ pour l’Inde pour 3 mois.
A cette époque, pas de vol direct pour Madras.
J’ai pris mon billet pour Bombay et ensuite ce sera l’aventure car il n’y a qu’une
seule compagnie intérieure « Indian Airlines », impossible de
confirmer ses vols depuis la France.
Cela fait plusieurs nuits que je dors peu, l’excitation mêlée d’inquiétude est à son comble. Je ne suis jamais partie seule et si loin. Le fait que Shakuntala m’attende là-bas me rassure un peu mais elle m’attendra à Madras, je crains mon arrivée à Bombay.
Bombay ! Arrivée tôt le matin après une
nuit dans l’avion et peu de sommeil.
L’odeur ! Incroyable odeur, l’odeur de l’Inde,
celle que je retrouverai ensuite à chaque fois avec tant de plaisir mais qui la première fois, m'envahit et me submerge.
Le monde ! Beaucoup de monde et cette
première image, les mains de ces enfants appuyés sur la baie vitrée à l’extérieur
de l’aéroport. Ils attendent... J’ai la sensation qu’ils m’attendent ! Beaucoup
trop d’émotion et de sensations, je suis dépassée et les larmes montent. Je crois qu’à ce moment précis, si j’avais pu
repartir dans l’autre sens, je l’aurais fait. Mais non, c’est bien plus fort
que moi, je ne peux plus reculer.
Le périple commence. Pas de possibilité de confirmer le vol pour Madras depuis l’aéroport, on nous conseille d’aller directement à « Indian Airlines » en ville. J’ai fait connaissance dans l’avion avec quelques personnes, je ne suis donc pas seule dans cette situation. Dehors, il pleut des cordes, c’est la période de moussons. Je n’ai rien trouvé de mieux que de porter un saree. Le simple fait de sortir de l’aéroport pour prendre le car qui nous emmènera en ville, je suis trempée jusqu’aux os et mon saree ne ressemble plus à rien, moi non plus d’ailleurs.
Le trajet entre l’aéroport international et
la ville me paraît interminable et je suis impressionnée par le nombre de bidonvilles que nous traversons sur des kilomètres. Finalement, nous arrivons en ville à l’agence
de voyage et je me souviens encore de cette très belle femme,
tirée à quatre épingles, merveilleusement coiffée et maquillée et son expression en me voyant
entrer avec mon saree de coton chiffonné, dégoulinante. J’avoue qu’à ce moment
là, je me suis sentie tellement ridicule !
Bref, tout est bien qui finit bien,
confirmation du billet et départ le soir même pour Madras ; retour dans l’autre
sens, direction « domestic airport » !
J’arrive enfin à Madras ; à la sortie de l’aéroport Shakuntala est là pour me recevoir.
J’ai remarqué qu’à chaque retour de l’Inde, les gens qui me connaissent me disent la même chose « ton visage a changé, ton expression n’est plus la même.»
A partir
de ce jour tout a changé, mon regard sur le monde aussi.
4/ Baptême
Shakuntala m’a accompagnée jusqu'à l’hôtel, dans le quartier de Mandavalli.
Chaleur, humidité, ventilateur et… bizutage.
Je prends une douche bien méritée et en
ouvrant l’eau qui tombe goutte à goutte du pommeau de
douche rouillé, un énorme cafard (qui s’y était réfugié) me tombe sur l’épaule.
Hurlement ! Je n’avais jamais vu de cafard aussi gros de ma vie et en
plus, il volait !!!!
Voilà, ça y est, j’y suis.
INDIA !
Je me prépare à ma première rencontre avec le maître V.S. Muthuswamy Pillaï. Nous partons pour
le quartier de Mylapore, quartier traditionnel avec son magnifique temple à
Siva : Kapaleeswara.
Tout au long du trajet en bus, accoudée à la fenêtre, les yeux écarquillés, je cherche quelques repères. Maisons, échoppes, j'ai l'impression que tout se ressemble. Il me faudra du temps pour reconnaitre les différents endroits.
Accepter de perdre ses repères.
Trois marches, j’entre dans la vieille bâtisse. A droite un marchand et réparateur de vélos que je retrouverai avec tant de joie, 40 ans plus tard encore et toujours au même endroit !
Nous suivons un long couloir sombre ; à gauche une porte en bois. Nous entrons. Sur une natte, assis à même le sol, il est là. Je suis frappée par son regard lumineux où je perçois déjà une pointe d'humour.
Nous le saluons, namaskar.
Shakuntala me présente et rapidement il m’invite à lui montrer une danse. Durant ces deux années d’apprentissage avec Malavika et Shakuntala, j’ai appris un margam (suite de danses) en entier, j’ai donc l’embarras du choix. Je ne me souviens plus ce que j’ai dansé, j'avais vraiment le trac !
Une fois terminé, je m’assois en tailleur face à lui,
il s’adresse à Shakuntala, il a l’air content et après lui avoir dit qu’il
faudra que je perde un peu de poids, il me donne rendez-vous le lendemain matin pour mon premier cours.
En sortant, je découvre cette femme assise juste en
face de sa porte, dans une alcôve où il n’est même pas possible de se tenir
debout. Elle habite là, dans 1m2 et elle
fera partie de ce petit univers pendant de très longues années... Elle était encore là en 2005, quand je retourne
à Madras avec ma fille Jeanne qui a 4 ans. Jeanne sera très impressionnée et apeurée par
cette vieille femme toujours devant la porte, qui ne peut même plus marcher et
se déplace en rampant.
Le lendemain, c'est le grand jour, offrande
au maître comme toujours quand on commence pour la première fois. Je suis donc
passée par le temple pour acheter mon petit panier en osier avec la noix de
coco, le camphre, l’encens, un peu de bétel, quelques fleurs, j’y dépose aussi
un peu d’argent.
J’ai décidé, avec l'accord du maître, d’apprendre deux chorégraphies durant ces trois mois le "dashavatar" et un "tillana". Plus tard, quand je reviendrai pour plusieurs années, il me demandera de reprendre avec lui tous les adavus de A à Z dans son style et me composera un margam en entier en vue de mon arangetram. Il me considèrera alors vraiment comme sa disciple.
J’ai cours tous les jours, je suis seule avec
lui, il m'impressionne. Nous commençons par le « dashavatar » puis il compose pour moi un tillana en raga malika. Il ébauche les mouvements tout en restant assis. Il aime bien que l'on comprenne rapidement et se lève (en réajustant son doti) uniquement quand il sent que c'est vraiment nécessaire. Il montre les mouvements de pieds avec ses mains comme de petites marionnettes qui s'agitent sur le sol. Il parle un anglais très rudimentaire, cela n'a pas d'importance, nous nous comprenons sans aucune difficulté et souvent sans parole. Régulièrement, des personnes passent le voir pendant le cours et restent pour regarder. il est fier
de montrer ce qu’il compose, de me faire danser devant eux. Je fais
connaissance notamment avec sa femme, si gentille, qui passe quelques jours à Madras. Sinon, elle vit loin de lui, dans son village au sud de l’Inde.
Muthuswamy a choisi cette vie. Il a tout quitté pour venir à Madras vivre seul dans cette toute petite pièce où il enseigne, où il compose dans le noir, assis sur sa natte qui lui sert aussi pour dormir et manger. Je vous invite à lire dans la page du blog « MAÎTRES » son histoire passionnante (lien ci-dessous).
Je fais connaissance avec le chanteur Madurai T. Seethuraman qui vient pratiquer assez souvent en cours, c'est merveilleux. Je sens tout de suite l'importance de la relation entre le danseur et le musicien. Seethuraman est très communicatif. En chantant, il me regarde constamment et partage l'émotion véhiculée par le raga tout en cherchant à suivre mon interprétation. C'est un échange extraordinaire, une communion que je n'ai jamais retrouvée avec aucun autre chanteur dans un orchestre de Bharatanatyam. Le jour des spectacles, des enregistrements, il connaît parfaitement les chorégraphies, ce qui est exceptionnel.
Sri Arumugan, le joueur de mridangam (percussion) vient aussi pratiquer de temps en temps pendant le cours. Il apprend et suit les rythmes qui correspondent aux pas de la danseuse mais il aime surtout broder, s'amuser, essayer de nous dérouter ! Quelquefois, j’ai la chance d’être accompagnée par mon maître, le chanteur et le mridangiste. C’est fou à quel point la musique me porte et me transporte.
C’est une très belle expérience, une chance inouïe de se voir composer une danse, rien que pour soi. Ainsi, pendant toutes mes années d’apprentissage entre 1980 et 1991, il compose toutes les danses du répertoire sur mesure. Aucune de ses disciples n’a la même chorégraphie sur une même pièce musicale. Il aime tenir compte de nos différences et s'en amuse, il s'adapte à nos possibilités mettant ainsi en valeur non seulement ses chorégraphies mais aussi ses élèves. Il nous invitera à monter sur scène uniquement quand il sentira que nous sommes prêts.
Ces trois mois passent à une vitesse
incroyable. Avant de repartir pour la France, j'enregistre en studio avec les musiciens
pour revenir avec mes musiques originales ; ce que je ferai à la fin de chacun de mes séjours. C’était possible à
cette époque, aujourd’hui les choses ont bien changé, les tarifs aussi.
Retour pour la France fin octobre avec une seule envie, repartir le plus vite possible, plus longtemps, pour continuer cet apprentissage qui je le sens, sera long.
5/ En attendant
Oui, ce sera long.
A mon retour, je mets tout en œuvre pour repartir. Cet apprentissage sera une question d’années, j'en ai conscience.
Je dépose un dossier auprès du Ministère
des Affaires Etrangères pour obtenir une bourse. Lors de l'entretien, je ne suis pas retenue et c'est une déception. Je décide donc de repartir six mois à Madras
pour continuer ce que j’ai entrepris, je redéposerai une demande de bourse l’année
suivante.
Ce temps me permet de réfléchir et confirmer
mon engagement dans cette voie car pour l’instant, tout s’est fait sous le feu
de la passion, sans trop de réflexion.
J’ai la chance dans les mois qui précédent mon départ de me voir confier par Shakuntala quelques cours et stages car elle repart en Inde. Je suis encore très novice mais je sens déjà que l’enseignement est une voie qui m’attire. Cette expérience m’a beaucoup appris, elle me permet aussi de gagner un peu d’argent en exerçant déjà mon « futur » métier.
Je repars à Madras et retrouve mon maître avec beaucoup de joie. C’est lors de ce séjour que je fais connaissance avec Kalanidhi Narayanan. En France, c’est la danseuse Vasantha qui m’a beaucoup parlé d’elle et j’ai vraiment hâte de la rencontrer. Avec Vasantha, nous partageons la même passion pour la danse, elle a déjà passé de nombreuses années en Inde, a étudié auprès de Padma Subrahmanian et Kalanidhi Narayanan. C'est une sublime danseuse et son abhinaya est extraordinaire. Elle m'a complètement convaincue d'aller étudier avec Kalanidhi.
Plusieurs langues sont utilisées dans les danses, le tamil mais aussi le sanskrit, le telugu et le kannada. Il ne s’agit pas simplement de connaître les traductions mais aussi de comprendre et saisir les finesses du langage poétique. Kalanidhi sort souvent son gros dictionnaire de tamil ancien pour chercher et me donner le sens de certains mots. Elle parle bien l'anglais mais ce n'est pas toujours facile de saisir exactement ce qui se cache derrière les mots. Alors, débordante d'imagination et de créativité, elle nous montre, utilise les métaphores, improvise de manière totalement spontanée diverses interprétations à partir d'une même phrase. Ces moments sont d'une richesse infinie. Je vous invite à découvrir son parcours incroyable, dans le blog, onglet MAÎTRES, ci dessous.
L’apprentissage avec mon maître Muthuswamy passe avant tout par la répétition, le mimétisme. Un dialogue s'installe entre lui et ses élèves avec la danse et le rythme, les paroles ne semblent pas forcément nécessaires. Avec Kalanidhi, les explications seront précieuses même si son enseignement passe aussi par un certain mimétisme. Je me souviens comme si c’était hier, de ma première rencontre avec elle. J’étais tellement impressionnée mais je fus rapidement sous le charme ! Elle accepte de m’enseigner un padam puis, nous verrons…
Lors de l’apprentissage de ce premier padam
« Ethannai Sonnalum » (dont le thème est une mère qui parle du mariage à sa fille),
c’est tout un univers qui s’entrouvre. Je prends conscience du travail qu’il
faudra faire pour être à même d’exprimer tous ces sentiments et leurs nuances, cela dépasse de beaucoup le cadre de la danse, nous sommes au cœur de l'intime et un travail sur soi va de pair. Kalanidhi,
même si elle démontre beaucoup en nous donnant des exemples extrêmement variés qui sont toujours un délice à regarder, nous invite avant tout à
ressentir. Pas de tricherie, elle s'adresse à nous avec beaucoup de franchise, ce n'est pas toujours confortable. Les propositions, les corrections sont d'une incroyable justesse. Elle sait toucher au bon endroit, avec bienveillance. Aucune habitude ne doit s'installer puisqu'à chaque cours, les exemples qu'elle nous livre sont différents. L’abhinaya est un puit sans fond, nous devons accepter de travailler sur nos inhibitions, vaincre certains blocages, être dans une constante recherche. Aujourd’hui encore, le travail continue. Avec le recul, je suis convaincue du fait que Kalanidhi, parce qu’elle était une femme et que nous
pouvions parler de tout avec elle, nous a permis ce travail en profondeur. Elle nous a donner les clés, avec tant d'amour.
Elle m’incitera aussi à commencer les cours de chant, une dimension de plus pour accéder à la compréhension de cet art. Je commence donc le chant carnatique avec Kamakshi Kuppuswamy.
Kalanidhi accepte que je devienne son élève, c'est un immense cadeau.
Je reviens à Paris et donne mon tout premier récital au Mandapa.
En septembre 1982, je pars pour un an,
renouvelable ! Même si je fais mon arangetram en novembre 1983, mon
apprentissage va durer 9 ans.
6/ Immersion
Septembre 1982, 21 ans, je pars cette fois-ci pour une durée indéterminée loin de ma famille et de mes amis.
A cette époque pas d’internet, la liaison
téléphonique est compliquée et très chère, c’est donc une vraie coupure, un
changement de vie radical. Le seul moyen pour rester en contact avec les siens, envoyer un aérogramme
qui met 8 jours au mieux pour arriver à destination !
Ce départ n’a pas été facile même si c'est une décision assumée. Ma petite sœur à l’époque à tout
juste 7 ans, c’est un crève cœur de lui expliquer que je pars… longtemps. Je resterai un peu plus de deux ans à Madras sans rentrer en France.
Nous avons décidé avec mon amie Armelle Choquard, qui
a obtenu la bourse la même année, de partir à la même date. Cela rend le départ un peu moins « rude » et ce long séjour va sceller une amitié qui
dure aujourd’hui encore.
Nous partagerons le même appartement pendant presque deux ans. Armelle, avant de choisir un autre chemin, va suivre l'enseignement de Muthuswamy (danse) Kalanidhi (abhinaya) et Kamakshi (chant). Nous partageons donc pendant ces deux premières années beaucoup de choses tant sur le plan de la danse que sur un plan personnel. De temps en temps, nous recevons des amis de passage en Inde sinon, notre vie est rythmée par les cours de danse le matin, d’abhinaya et de chant l’après-midi et la pratique. Nous allons voir un maximum de spectacles de danse, assister à des concerts.
Nous habitons au premier étage de la maison de Swarnamukhi, à l’époque danseuse de l’état du Tamil Nadu. Elle est très connue pour son bharatanatyam acrobatique, elle a été formée aux Karanas par son père dès son plus jeune âge (à partir de l'âge de 3 ans). Nous la suivrons de temps en temps lors de ses tournées dans les temples du sud de l’Inde. Elle est acclamée telle une déesse par des milliers de gens qui attendent avec tellement d’impatience la fameuse "danse du serpent". C'est très impressionnant ! Swarna danse dans des conditions parfois extrêmement difficiles, il nous est arrivé avec Armelle de nous mettre chacune d’un coté de la scène pour tenir tendue la toile posée au sol sur laquelle elle dansait.
La vie était plutôt douce et joyeuse. Nous avions dans notre appartement le strict minimum, chacune un matelas au sol, une natte et une table en bois. Au début, la cuisine était très rudimentaire, pas de frigidaire, seule une cuvette remplie d’eau froide nous servait à garder quelques produits au frais. Tout cela nous convenait très bien. Nous nous déplacions principalement à vélo et en bus pour les trajets les plus longs.
Cette année là, mon maître m’a demandé de reprendre tous les adavus pour vraiment entrer dans son style. J'ai senti qu’il me considérait alors réellement comme sa disciple. Les cours étaient une véritable joie. Pas un jour j’y suis allée à reculons. Après plusieurs mois de pratique d'adavus (alphabet de la danse) où nous répétions les séries de a à z dans les trois vitesses en reprenant tous les jours du début, j'ai pu commencer une suite de danses. Il m'a chorégraphié, petit à petit les pièces dans l'ordre du margam : mallari, alarippu, kautwam, jatiswaram, varnam, kalaitooki, tillana. J'adorais le voir chorégraphier. Il fermait toujours les yeux pour laisser place à l'inspiration et subitement son visage s'éclairait. Il fallait comprendre vite sinon il s'impatientait. Mais il avait beaucoup d'humour, il savait se moquer gentiment et nous avons beaucoup, beaucoup rigolé. A la fin du cours, malgré le ventilateur, le saree était à tordre. Il faisait chaud, très chaud !
J’ai fait quelques démarches pour trouver des aides financières car un arangetram coûte cher. En Inde, c'est la famille qui prend en charge, c'est finalement un peu comme un baptême, une cérémonie, une porte qui s'ouvre (ou se referme) sur le métier de danseur. J'ai donc trouvé les aides nécessaires pour la location de la salle, le programme et les invitations à imprimer, j'avais fait quelques économies afin de pouvoir payer mon maître et les musiciens, offrir des cadeaux à mes professeurs et me faire faire deux costumes sur mesure. J'ai invité des journalistes et un photographe, il me fallait trouver un invité d’honneur, maître de cérémonie.
Les choses se présentèrent plutôt bien. Y.G. Doraisamy, une personnalité dans le milieu artistique proche de Kalanidhi accepta d’être mon invité d’honneur, son discours fut très touchant. Même le petit tailleur Elite est venu ce jour là me voir danser ! Mon arangetram a eu lieu le 29 novembre 1983 à Mylapore Fine Arts, sous le patronage de l'Alliance française de Madras et ce fut un grand jour ! Je m'en souviens très bien encore aujourd'hui. Mes maîtres m'ont félicitée. Muthuswamy m'a dit « full success » ce qui est un merveilleux compliment de la part de quelqu’un qui n’en fait jamais. Kalanidhi était particulièrement contente de mon interprétation du padam "Ena nan cheide vitte" sur l'enfant Krishna. J'ai senti chez elle de la fierté à mon égard, beaucoup de bienveillance, cela m'a donné confiance.
C’était parti pour
une deuxième année !
7/ Faire le plein
Jusqu’à mon retour en France en 1985 et lors des séjours suivants, assez rapprochés jusqu’au décès de mon maître en
1992, je n’avais qu’une envie, c’était
faire le plein. Je savais déjà que le parcours d’une danseuse de Bharatanatyam en France était un chemin solitaire et qu’il faudrait ensuite travailler souvent seule.
J’ai donc profité pleinement de ce temps pour apprendre, observer, me nourrir.
Cette année là, j'ai commencé les cours de nattuvangam
(rythme) avec Kamala Rani. Kalanidhi la faisait venir secrètement du
Kalakshetra car elle n’avait pas le droit d’enseigner en dehors de
l’institution. Kamala était une femme très impressionnante et autoritaire. Kalanidhi avait organisé pour un petit groupe d'élèves un cours une fois par semaine. J'eu la chance de partager cette opportunité avec Priyadarsini Govind, Malavika Sarukkaï, Anuradha Jagannathan et Nityakalyani Vadyanathan, toutes les quatre de merveilleuses danseuses de Bharatanatyam. Nous devions répéter les phrases rythmiques chacune à notre tour et je me sentais toute petite devant cette femme charismatique à la voix si grave et aussi devant mes collègues danseuses que j'admirais. La première fois que ce fut mon tour d'entonner les sollukattus (syllabes rythmiques) et battre le tala (cycle rythmique), si j'avais pu me cacher dans un trou de souris je l'aurais fait ! Mais c'était mon tour, pas d'échappatoire ! Après mon passage, elle dit en regardant Kalanidhi "very good laya !"... (Laya = tempo) Je reçu ce compliment avec joie, même si elle ne s'était pas adressée directement à moi. Les maîtres en Inde font très peu de compliments et donc, ils ont d'autant plus de poids et de résonnance quand ils arrivent, souvent à des moments où on ne s'y attend pas.
La distance avec ma famille et mes amis me pesait quelquefois mais malgré tout, je garde des souvenirs inoubliables et joyeux de cette période. Un peu affaiblie pendant quelques semaines par la maladie, j'ai du arrêter les cours et j'ai beaucoup apprécié la douce et rassurante présence d'Armelle, son soutien.
Je me sentais là-bas complètement disponible. C'est une chose que mon maître V.S. Muthuswamy Pillaï appréciait tout particulièrement ; la disponibilité, la curiosité, la soif d'apprendre. Quand il proposait des choses techniquement difficiles, c'était rare que je refuse, j'étais prête à tout, en tout cas prête à essayer et travailler pour rendre la chose possible, j'aimais les défis. C'est ainsi qu'un jour il m'a proposé de faire des tours sur les genoux et quand il a vu que j'y arrivais, il voulait ensuite m'en mettre dans toutes les danses tellement il était satisfait !
Le travail avec
Kalanidhi a été immense, d’une richesse infinie d'un point de vue humain. Nous apprenions sans nous soucier de terminer telle ou telle
pièce. C’était un chemin qu’il fallait parcourir en passant par toutes les
étapes nécessaires à la compréhension de cet aspect de la danse, l’abhinaya. Je parlais beaucoup avec elle, de tout. Elle avait compris que nous, françaises en Inde, nous nous sentions parfois un peu isolées et que nos différences avec les indiennes n'étaient pas toujours facile à vivre. Mais finalement, j'allais me rendre compte plus tard, que ce serait beaucoup plus difficile à gérer à mon retour en France. Elle nous appelait ses "frenchies" ! Ici en Inde, les gens étaient admiratifs de nos parcours et surtout du fait que nous soyons capables de partir plusieurs années loin de notre famille pour étudier. Ils en éprouvaient une certaine fierté. A partir du moment où nous avions fait le chemin nécessaire pour apprendre cette danse, nous étions acceptées, avec nos différences.
Il me paraissait inconcevable de rater un
cours. Je me souviens encore de l’expression de mon professeur de chant me voyant arriver en pleine mousson ! Les rues étaient inondées, les arbres couchés, le ciel bas et la lumière apocalyptique. C'est une vision
qui reste intacte, encore aujourd’hui. Kamakshi n’en
croyait pas ses yeux ! J’étais là, à l’heure convenue. Là-bas, c’est une
période où tout s’arrête, chacun reste chez soi. Elle m’a remerciée et m’a invitée à rentrer
chez moi au plus vite. Descendre du bus et avoir de l’eau jusqu’à mi-cuisse
n’était pas chose rare lors de ces périodes de mousson. Les pannes d’électricité et les fuites dans la maison faisaient partie du
quotidien mais j'avais appris à
vivre avec tout ça, en tout cas, je prenais sur moi.
Un jour, Kalanidhi m'a dit : «plutôt que
de pratiquer, va... promène toi... observe. L’abhinaya, c’est
ça : la vie, les gens, les habitudes, les façons d’être ; regarde, inspire-toi !»
Elle avait bien raison. N’était-ce pas pour cela que je passais du temps ici à
Madras loin de ma famille ? C’était pour m’imprégner. J'étais d'ailleurs comme une éponge et j'avais aussi besoin de temps en temps de rester chez moi, me poser et faire le point. Envie de rentrer dans ma bulle pour apaiser un peu mes émotions. Le dehors me paraissait certains jours trop violent, trop fatigant, trop sale. Mais ce que je retiens avant tout c'est ce bouillonnement de vie, de couleurs, les visages et surtout les sourires ! J'en ai souffert à mon retour, du manque de sourires, de vie et de couleurs, tout me paraissait gris.
Je pousse toujours les élèves qui veulent aller plus loin dans leur apprentissage à partir en Inde. L’usage social de notre corps est nécessairement le produit d’une culture. Ce corps connait les usages et les buts pour lesquels il a été éduqué. Pour en trouver d’autres, il faut se détacher de ses modèles, pour lâcher prise une coupure est nécessaire. Ce n’est pas une affaire de semaines ni de mois mais d’années.« C’est comme tout à coup subir la colonisation d’une autre forme de culture et c’est justement ce passage obligé qui fait découvrir ou redécouvrir à l’intérieur de soi sa propre vie, son indépendance». J’ai eu cette sensation après toutes ces années, de redécouvrir ma propre culture et c’est à ce moment là que les questionnements sont arrivés, que j'ai eu envie d'aller plus loin, de réfléchir sur ma démarche (j’en parlerai lors d'un prochain chapitre).
Ce long séjour arrivait à son terme, il a fallu penser au retour et prévoir des enregistrements afin de revenir en France avec mes musiques. A l’époque, c’était le maître qui organisait intégralement cet événement. C’est lui qui conviait les musiciens de son choix, ceux avec qui il avait l’habitude de travailler. Les répétitions furent nombreuses et enfin, le grand jour arriva. Ce jour là au studio d’enregistrement, l’excitation de tous était palpable. En 1985 en Inde, pas de raccords possibles, le mixage n’existait pas comme aujourd’hui : l’ère du copier/coller… Si on ratait, on recommençait du début la pièce. Mon maître mettait toujours un petit tissu sur ses cymbales de manière à ce qu’elles ne résonnent pas, ne prennent pas trop le dessus sur les autres instruments. Chanteur, mridangist, violoniste, flûtiste, chacun à sa place et pendant ce temps je marquais les pas sur un tapis de corde (pour ne pas faire de bruit) et les musiciens me suivaient.
Ensuite le moment était venu d’écouter le
résultat. J’ai toujours senti à quel point les musiciens se mettaient une énorme pression ! Seethuraman le
chanteur surtout, des petites fautes,
possibles en condition de spectacle, n’avaient pas leur place ici. Il fallait
que tout soit parfait, enregistré pour l’éternité ! Il fallu donc
quelquefois recommencer… Ces journées
étaient épuisantes pour tous, physiquement et nerveusement. Mais quelle chance de revenir avec ses propres
enregistrements !
Aujourd’hui je donne ces musiques à mes
élèves mais j’aime toujours souligner le coté exceptionnel de ces
enregistrements que l’on ne trouve pas dans le commerce et que je suis seule à
détenir, des trésors en quelque sorte !
Voilà ! Bientôt le retour et ce sera le
cœur très serré que je quitterai l’Inde,
pour aborder une nouvelle étape dans ma vie de danseuse, en France.
8/ Le retour
Sentiment partagé
Joie et tristesse
Partir pour revenir
Solitude
Ouverture
Il m’aura fallu presque un an pour me sentir à nouveau « chez moi » ici en France mais c'était si bon de retrouver ma famille, mes amis. Désormais, j’ai bien deux patries, le pays de mes pères et le pays de mes maîtres.
Comment faire pour ne pas se sentir le « cul entre deux chaises » ? J’ai eu longtemps cette sensation d’avoir envie d’être là-bas quand je suis ici et ici quand je suis là-bas. Après ces années passées à apprendre, recevoir, m’imprégner, il me faudra un temps de réflexion avant de pouvoir à mon tour donner, transmettre, diffuser. Digérer tout ce que j'ai appris, construire un nouveau rythme de travail, apprendre à pratiquer seule, sans le regard du professeur.
Réfléchir
Imaginer
Créer
Pourquoi, comment ?
Certaines rencontres qui vont jalonner mon parcours professionnel seront décisives, j'en parlerai au fur et à mesure car ce sont des personnalités qui m'ont parfois incitée, aidée à prendre certaines directions, en tout cas faire des choix. Je me suis parfois trompée de chemin mais bien des années plus tard, je me suis rendue compte que ce n'était pas pour rien.
A l’époque, nous n’étions pas si nombreuses à
pratiquer cet art ici en France. Dans le milieu de la danse et de la musique
indienne nous nous connaissions tous. Dès mon retour, j’ai eu cette envie d’aller
à la rencontre du milieu de la danse au sens large du terme afin d’éviter de me
scléroser dans un milieu qui me paraissait un peu étriqué.
C’était la pleine période de la nouvelle danse contemporaine française et d’ailleurs toute cette génération de danseurs-auteurs-chorégraphes a inspiré d’autres pays. C’est l’époque de Jack Lang ministre de la Culture, Maurice Fleuret directeur de la Musique et de la Danse. Ce sont les premières subventions, les premières expériences de décentralisation. Surgissent alors les noms des chorégraphes emblématiques de la nouvelle danse française : Dominique Bagouet, Maguy Marin, Régine Chopinot, Jean-Claude Gallotta, Philippe Découflé etc. Je suis très curieuse de découvrir les différents courants et écoles. Finalement, c'est un peu comme en Bharatanatyam ! On est plutôt ceci ou cela... Merce Cunningham ou José Limon... il y a l'école allemande... j'expérimenterai un peu plus tard ces techniques. J’ai envie de m'inscrire avec la danse que je pratique et qui m'est chère dans le contexte où je vis. Je trouve que la danse classique indienne n'est pas considérée comme elle devrait l'être, les idées reçues sont souvent fausses, étroites. L’image de la danseuse en quête d’exotisme m’énerve au plus haut point, je souhaite défendre haut et fort ma démarche, je reste persuadée que j’aurais très bien pu faire tout à fait autre chose si le bharatanatyam ne s’était pas trouvé sur mon chemin à un moment précis. Encore une histoire de rencontre !
Ce qui m’intéresse, c’est la DANSE, la danse comme la musique est universelle.
Je suis invitée cette année là à la Maison de la Culture de la Rochelle dont la directrice est
justement Régine Chopinot, danseuse et chorégraphe contemporaine. Lors du débat avec le public après le
spectacle, je parle de mon parcours et tente de défaire les
idées reçues sur "la danseuse française
indienne partie sur la route de l’Inde en quête d’absolu"… J’explique concrètement l’apprentissage, les difficultés que j’ai rencontrées, la
nécessité de faire le "plongeon" pour pratiquer cet art.
Cette année là en juillet, je participe au festival d’Avignon OFF. Danser un spectacle d’une heure pendant un mois à minuit tous les soirs est une expérience inoubliable ! Oui, à minuit, c'est le seul créneau qu'il reste et nous prenons le risque. Nous louons le théâtre et prenons en charge toute la communication. Finalement l'horaire n'est pas si mal car cela permet au public de venir après les spectacles du festival IN ! Ces trente représentations nous permettent de rentrer tout juste dans nos frais mais suscitent des rencontres professionnelles, suite à quoi je serai programmée la saison suivante dans plusieurs lieux en France. Un photographe renommé, Nicolas Treatt est venu faire des photos de mon spectacle et des journalistes de France-Culture m’interviewer.
Pouvoir donner le même
spectacle sur une période si longue est exceptionnel. Au théâtre, les comédiens ont souvent
cette expérience, nous danseurs beaucoup plus rarement. L’occasion d'appréhender la dimension d'interprétation. Chaque représentation est différente. Comme on dit "il y a des jours avec et des jours sans". Un soir il ne se passe pas grand-chose, un autre soir on ne sait pas pourquoi, l'étincelle est là. Un jour, j'ai l'impression de me regarder danser, d'être là juste "techniquement", le lendemain le "lâcher-prise" donne lieu à un moment de grâce. Danser à minuit, c’est vivre la nuit et dormir le jour… Il
me faudra ensuite un mois pour faire redescendre l’adrénaline et reprendre un
rythme de vie normal !
Lors de ce festival d’Avignon, je vis une expérience désagréable. Une femme (française) venue ce soir-là, lisant dans le programme que je ne suis pas indienne demande à être remboursée et quitte la salle avant même que le spectacle ne commence, clamant qu’elle est venue là chercher de l’authentique !
Oui, c’est une chose qui a été difficile ici en France et qui l’est parfois encore ; se faire accepter comme danseuse indienne non indienne.
9/ Fin d’un cycle
Les deux années suivantes, j’ai sillonné la France en long en large et en travers donnant des récitals, des démonstrations et des stages. A la fin de l'année 1986, je suis repartie en Inde pour travailler avec mes maîtres et j'ai été danser à Delhi en janvier 1987 dans un très joli petit théâtre « Triveni Kala Sangam ». Un voyage épique en train avec mon maître et les musiciens. Ambiance assurée, nous avons beaucoup ri et peu dormi durant ces 36h de voyage entre Madras et Delhi. Malgré le peu de sommeil et la fatigue, le spectacle fut un succès. Emue de lire quelques semaines plus tard un article dans le "Times of India" (février 1987) expliquant mon parcours avec comme titre "the girl with the golden feet" ! L'article se concluait ainsi : "The most touching responses to her Bharatanatyam has come from a group of european children who learnt classical dance from her : "she gave us strenght and a breath of happiness from her teaching..."
Le 6 juin 1987, je danse à l’Espace Cardin à Paris. Cet événement marque pour moi la fin d’une période purement « classique » et m’incitera à prendre par la suite d’autres directions, en commençant par partager la scène
avec des artistes de disciplines
différentes. L’affiche de ce festival est prestigieuse, les rencontres de musiciens, exceptionnelles. Le propos du festival "Est/Ouest" est de provoquer la rencontre entre des artistes indiens et des artistes occidentaux. François Rabbath (contrebasse) avec Hariprasad Chaurasia (flûte) - Augustin Dumay (violon) avec L. Subramaniam (violon) et Olivier Bernard (piano) - Michel Portal (clarinette) avec Zakir Hussain (tabla).
Coté danse, je partage la scène avec Harish Rawat danseur de Kathak, qui est venu de Delhi spécialement pour l'occasion. Nous
présentons tour à tour, avec un orchestre de musiciens, des pièces dans nos
styles respectifs le kathak et le bharatanatyam. Nous avons préparé lors d’une petite
résidence qui a précédé le festival, un « jugalbandhi » (duo). A partir du "tala vadyam" une pièce très rythmée, nous avons cherché des équivalences dans chaque style et construit la pièce sous forme de questions/réponses. A la fin, les deux styles se rencontrent et se mélangent, c'est le bouquet final.
Ce fut une belle rencontre avec Harish, nous étions très complices. Nous avons gardé le contact pendant des années puis nous nous sommes perdus de vue. J'ai appris avec tristesse il y a quelques années qu'il n'était malheureusement plus de ce monde. Harish m'avait invitée à Delhi et nous avions dansé dans le prestigieux théâtre « Bharatiya Kala Kendra », notre spectacle avait été filmé par la télévision indienne.
J'avais de plus en plus envie de sortir du cadre du récital purement traditionnel, de sa forme. J’ai créé l’année suivante le solo « FIGURES ». L'inspiration est née dans le temple de Chidambaram (sud de l'Inde) ; cet endroit précis où l’on voit d’un côté le dieu Shiva danser et de l'autre côté le dieu Vishnou méditer. Kalanidhi m’avait enseigné une pièce sur ce thème et je l'avais d'ailleurs dansée dans le temple, lors d'un festival, face à cet endroit magique. Cette vision m'avait profondément marquée, j'y repensais régulièrement.
Vide
Plein
Mouvement
Immobilité
Bruit
Silence.
"Par son plein et son délié et par le vide qu'il cerne, il représente forme et volume ; par son "attaque" et sa "poussée", il exprime rythme et mouvement." Le vide et le plein - François Cheng
J'ai commencé à chercher d'autres façons de danser à partir de la technique du Bharatanatyam. Travailler sur le mouvement et l'immobilité, jouer des oppositions et des contrastes, tout cela des heures durant en studio, seule. Une sorte de "laboratoire" du mouvement où tout était permis, où je tentais à partir des adavus (unités de danse) de déterminer de nouvelles règles. Certains jours, je ne trouvais rien et je défaisais ce que j'avais fait la veille. Ce fut une période très riche où j'ai douté énormément. C'est là que j'ai vraiment commencé à m'intéresser et réfléchir au mouvement. Jusqu'à maintenant, j'avais fait ce qu'on m'avait dit de faire, le mieux possible, désormais j'étais dans l'analyse, le questionnement. Je me suis rendue compte à quel point cette technique était d'une richesse incroyable et à condition d'avoir fait le chemin, offrait une multitude de possibilités. Après dix ans d'apprentissage et de pratique, je commençais à entrevoir d'autres possibles ! Je remercie profondément mon maître qui m'a enseigné avec une telle liberté, avec tant d'humour. Il m'a donné la possibilité de voler de mes propres ailes et partir dans d'autres directions sans avoir la sensation de trahir. Le solo FIGURES est né de cette recherche. Je restais dans le "cadre" du Bharatanatyam mais c'était pour moi les prémisses d'une nouvelle aventure.
L'état de grâce de Kalpana
"La danse indienne est toujours une affaire entre les dieux et les hommes. Prière, offrande, elle assure un trait d'union entre le quotidien et le sacré, le monde terrestre et les sphères célestes. Kalpana appartient à cette légion des apsaras françaises qui ont fait le voyage de l'Inde et travaillé avec un grand maître, V.S. Muthuswamy Pillai. Avec "Figures" elle a présenté un remarquable spectacle. Kalpana affirme à tout instant sa maîtrise, l'étendue de son talent, son pouvoir expressif. Un très beau spectacle sans aucun temps mort."
Jean-Claude Dienis - Danser
Je ne le savais pas encore...
Grace à ce spectacle,
j'allais bientôt basculer dans un tout autre univers
et vivre une expérience d'une richesse incroyable !
10/ La rencontre
C’est lors d’une série de représentations de « Figures » à l’Espace Jemmapes à Paris en 1988 que je rencontre Andy de Groat.
Andy est à la recherche d'une danseuse indienne pour sa prochaine pièce « la Bayadère » qui sera créée dans le cadre de la Biennale de danse à Lyon, au TEP de Villeurbanne. Alain-Paul Lequeux, journaliste et ami proche d’Andy lui a conseillé de venir voir mon spectacle.
Andy de Groat danseur et chorégraphe, né aux Etats-Unis, a participé à l’écriture chorégraphique des pièces de Bob Wilson, notamment « Einstein on the beach » créé en Avignon en 1976. Andy crée sa compagnie « Red Notes » en 1973 à New York puis s’installe en France à Paris en 1982. Il aime reprendre les pièces du répertoire classique avec originalité et humour. Il a travaillé avec le groupe de recherche de l’Opéra de Paris, a chorégraphié pour Wilfride Piollet et Jean Guizerix, danseurs étoiles de l'Opéra, c'est d'ailleurs grâce à Andy que j'ai pu rencontrer et travailler avec ces merveilleuses personnes.
La rencontre avec Andy tombe à pic ! Je suis prête à vivre de nouvelles expériences et plonger avec le
bharatanatyam dans des contextes différents. Cette aventure va durer de
nombreuses années. Andy est devenu par la suite un ami, un conseiller, il m'a suivie de près et de loin, toujours encouragée et soutenue dans mes entreprises. Andy est décédé le 10 janvier 2019.
"La Bayadère" est une longue aventure pleine de rebondissements ! Elle est finalement créée après une résidence à Paris et à Lyon, sans costumes ni décors à Vaux-en-Velin (69) en 1988, suite à des problèmes de budgets...
La pièce sera recréée avec costumes et décors en 1992 à Aulnay-sous-bois où la compagnie « Red Notes » était à l'époque en résidence. Une longue tournée suivra sur deux saisons, à travers la France et aussi à l’étranger.
Avec Andy, c’est le début d'une longue collaboration. Il m'a toujours dit "c'est toi qui connait cette danse, tu es la matière moi je suis le peintre qui te propulse sur la toile". Je lui montre les adavus et lui explique les différents aspects de cette danse. Il me propose des exercices bien à lui. Andy m’emmène sur des chemins que je n’aurais jamais trouvés seule, jamais imaginés. Les pistes de travail et de recherche qu'il suggère sont passionnantes. Je découvre notamment avec lui le ralenti et une nouvelle manière d’appréhender le mouvement, les appuis, l’équilibre qui en découlent. Cette « mise en danger » me bouscule et me plait. En me proposant de changer d'angle de vision, il me fait redécouvrir la technique du bharatanatyam. La précision avec laquelle il travaille est fascinante ; son rapport à l’espace et à la musique très particulier. Andy avant d'être danseur et chorégraphe a étudié les arts plastiques, il dessine les costumes et les décors de ses pièces. Il dessine aussi l'espace avec ses danseurs sur scène, les invite à créer dans un cadre qu'il prépare méticuleusement. Andy est un travailleur forcené, il arrive aux répétitions avec des tonnes de notes, des indications d'une précision implacable.
Mon maître en Inde m'a poussée à chercher l'ampleur du mouvement dans un mouchoir de poche. Andy avec "la Bayadère" me proposait de propulser le bharatanatyam sur des scènes immenses ! Ma plus belle expérience eu lieu à "la Filature" de Mulhouse sur un plateau de 20 mètres d'ouverture...
Dans la pièce, je danse en solo et en duo avec la danseuse qui tient le rôle-titre, "la Bayadère". Entre mes passages, je passe du temps à l'observer travailler avec la compagnie. Cette nouvelle manière de traiter l’espace et de chorégraphier pour plusieurs danseurs est très formatrice et m’inspirera énormément.
Lors de la recréation de la pièce, je fais
plus ample connaissance avec Dominique Bousquet, magnifique danseuse avec qui
je partage le rôle de "la Bayadère". C’est elle qui me fait découvrir la danse
contemporaine. Elle m’initie à la technique Cunningham (je découvre mon dos !) et en échange je l'initie au bharatanatyam. Avec
Dominique, une grande complicité s’installe, elle partira en Inde avec moi,
rencontrera mon maître V.S. Muthuswamy Pillai. J'ai chorégraphié un duo pour nous deux "Mi-chaud, mi-froid" en 1990, nous
l’avons tourné en Inde.
Ce travail me donne envie d’aller plus loin. Deux professeurs, des maîtres, me marqueront pour
toujours : Jacques Patarozzi et Karin Waehner.
Jacques Patarozzi, éminent pédagogue, danseur entre autres chez Pina Baush, propose un travail au sol, une recherche en profondeur, toute en sensualité. Il me pousse dans mes retranchements, me fait découvrir ce qu’est la fluidité du mouvement, l'élan et surtout, le déséquilibre. La technique du Bharatanatyam exige une tenue qui peut, si on ne travaille pas en finesse, se transformer en raideur. Bien "campée sur mes pieds", je résiste ! Il me poussera à lâcher prise.
Karin Waehner qui a étudié et dansé chez Mary Wigman travaille sur la sensation. Elle propose avec une grande exigence, un travail sur le ressenti, la mise en état, sur la nécessité intérieure du danseur. Sa présence dégage une force qui pousse à sortir de soi.
Cette période très riche fut un véritable
réservoir, la deuxième partie de mon apprentissage après celle en
Inde avec mes maîtres.
Je sentais que des ailes me poussaient…
Un vrai plaisir de te retrouver en pleine forme
dans une pièce unique.
Cette précision et concentration que tu as, si forte et lumineuse.
La moindre petite chose est rendue poétique, musicale, claire.
Antidote fort à ce temps de tout et n'importe quoi dans lequel on se trouve hélas.
J'ai beaucoup apprécié la tendance "performance" venant d'une technique imbattable.
Piège pour certaines qui semble un peu facile, un peu vide,
avec "Ce n'est pas grave" c'est heureusement pas le cas.
Le temps anormalement lent et temps d'attente sont portés par ta force
et devient musique silencieuse ou silences musicaux.
Epatant cette facilité de passer d'intense et élégamment agité aux passages calmes,
de danses pleine d'énergie précises... à l'hommage retenu et touchant.
Une petit pensée pour Alain-Paul et la mémoire encore très vive
de sa suggestion d'aller voir la danseuse sacrée chez toi
quand j'ai cherché le double de Nikia pour la Bayadère.
Il y a peu de gens,
hélas bien trop peu,
qui ont à faire avec le cosmos,
à ton étoile !"
Andy
novembre 2015
11 / L’envol
Quand je repense à ces années, de 1989 à 1999, je me demande comment j’ai fait pour mener de front tant de projets ! Des années
exaltantes, un jour ici, le lendemain ailleurs… des projets toujours plus passionnants.
Cette première collaboration avec Andy m’a donnée des ailes, l’envie de
travailler autrement. Ensuite, les rencontres se succèdent et m’emmènent à chaque fois sur des
terres inconnues, m’invitant à imaginer, élaborer, remettre en question tout ce
que j’ai appris jusque là.
Avec le recul, je me rends compte à quel
point ce chemin a été enthousiasmant et formateur. Cela m'a permis ensuite de revenir à ce
qui était au fond essentiel pour moi, m'a poussée plus tard à faire des choix. Durant ces dix années, il fallait que j’aille dans le sens où ma
curiosité me guidait. Ce sont sans doute
les années les plus denses que j’ai vécues, en tout cas au niveau du rythme de travail.
Je continue donc à donner des récitals de Bharatanatyam
et mon solo « Figures » voyage d’Epinal à Helsinki (Finlande)
en passant par Montpellier, Rouen et d’autres villes de France et de Navarre !
Entre 1989 et 1992, je retourne trois fois en Inde. Une première fois pour participer au séminaire « Bharatanatyam Dance Traditions » organisé par "Sruti" dans le cadre du festival à Madras. Mon maître y présente son style et nous sommes plusieurs de ses élèves à démontrer les adavu et danser ses chorégraphies.
"Bharatanatyam Dance Traditions"
Photos : Hervé Bernard
Une autre fois, pour danser en duo avec Dominique Delorme car notre maître souhaite nous inciter à travailler ensemble. Il nous chorégraphie un Tala Vadyam. Je suis arrivée une semaine avant la date du spectacle, je dois donc apprendre la pièce en cinq jours. Je me souviens du 3ème jour où le matin, je n’ai pas pu me lever tellement j’étais courbaturée !
Puis, je retourne en Inde, cette fois-ci avec Dominique Bousquet (danseuse avec qui je travaille depuis "la Bayadère"). Notre duo « Mi-chaud/Mi-froid » créé à Paris au Théâtre Contemporain de la Danse sera donné à Madras, Bombay et Delhi où nous tournerons un extrait pour la télévision « Doordarshan ». Je danse cette année-là aussi en solo dans le très joli petit théâtre NCPA à Bombay.
Mon maître V.S. Muthuswamy Pillai décède en janvier 1992 des suites d’une longue maladie. Les dernières fois où j’ai travaillé avec lui, c’était difficile, douloureux de le voir ainsi lutter contre la maladie. Il n’avait qu’une idée en tête, continuer à nous enseigner. Il passait de courts séjours à l’hôpital où nous pensions à chaque fois qu'il ne reviendrait pas et faisait de brefs retours à la salle de danse de Mylapore où il ressuscitait littéralement au contact du rythme et de la danse. Son départ fût un choc, c’était comme perdre un « père ». Je me souviens encore du télégramme envoyé par Dominique que j’ai reçu à Paris, où il m’annonçait en quelques mots sa mort.
Le départ de mon maître fut une invitation à vivre la danse encore plus intensément et surtout, transmettre. Je savais qu’un jour, je me consacrerai beaucoup plus à l’enseignement. Pour l’instant la transmission passait par le travail que je faisais avec les enfants, à l’école et au gré des nombreuses missions pédagogiques que je menais de front avec le travail de création et la scène.
Le 1er octobre 1992 à "Mylapore fine Arts",
je dansais en hommage à mon maître,
là où 9 ans plus tôt,
mon arangetram avait eu lieu.
J'ai créé ensuite « Solo à deux » dans le cadre des « Solos sans frontières »,
première édition d’un festival imaginé par Eliane Béranger,
organisé au Mandapa à Paris. Ce solo a vécu plusieurs étapes.
avec Pierre-André Valade
Théâtre Contemporain de la Danse - Paris
Photo : Hervé Bernard
C’est la première création où je cherche volontairement à sortir "du cadre", c'est une nécessité pour moi, un passage obligé. Ce travail est né d’une rencontre avec le musicien
Pierre-André Valade (flûtiste). J’assiste un été, dans le cadre du festival de
musique contemporaine à Saintes à un concert.
Je suis frappée par l’interprétation et la présence du flûtiste. Il se
déplace lentement au fur et à mesure qu’il joue, en suivant la partition qui
est posée à même le sol. La partition est incroyable, un
mélange de formes et de notes, une invitation au voyage ! Impressionnée par la virtuosité de Pierre-André, inspirée par cette mise en espace du musicien, je décide de le rencontrer, de lui parler.
Est née en moi l’envie de créer une pièce
avec un musicien qui se déplace sur scène et dont les déplacements feraient partie intégrante de la chorégraphie. Nous
nous revoyons dans les semaines qui suivent à Paris pour discuter puis commencer
à travailler. « Solo à deux » est né de cette rencontre, une
pièce abstraite sous la forme de plusieurs tableaux où je me suis
amusée, des heures durant en studio, seule et avec le musicien à
« défaire » ma technique du bharatanatyam, chercher une autre manière
de fonctionner, contrecarrer mes habitudes , faire aboutir un mouvement
autrement, emmener le geste ailleurs, travailler sur des états et chercher à leur donner
un corps. Aucune narration dans cette pièce, juste l’expression brute des sentiments. Stimuli déclenché par la
résonnance, les vibrations qui circulent
à l’intérieur d’un espace partagé par la musique et la danse. Cette phrase du
peintre Nicolas de Staël m’a beaucoup inspirée et accompagnée en studio,
surtout dans les grands moments de doutes et de solitude…
« Il s’agit toujours et avant tout de faire de la bonne peinture traditionnelle
et il faut se le dire tous les matins, tout en rompant avec la tradition
car elle n’est la même pour personne ».
Nicolas de Staël.
Extrait de presse :
« Dans « Solo à deux », pas
de saccade pas de brisure, le ciel et la terre se touchent du bout des doigts.
Elle ne bondit pas, elle se dresse puis ploie. Elle ne tombe jamais, c’est le
sol qui la cueille. Une lumière de fin de nuit où des êtres se cherchent, s’évitent,
se frôlent et se retrouvent, peut-être…» L’Est-Républicain – mars 1992.
La saison suivante, nous devions redonner le
spectacle et Pierre-André ne pouvant assurer la date prévue m'a présenté un collègue musicien : François Bru,
flûtiste aussi. Nous avons du retravailler la pièce qui a pris une forme
légèrement différente. Nous avons donné ce duo à Grenoble lors de l'événement « le 38e Rugissant » et à Rouen dans le cadre de « Tramway », deux festivals de musique contemporaine. La saison suivante, la pièce devait être à
nouveau reprise, à Paris à l’espace Kiron. Cette fois-ci, c’est François Bru qui
ne peut m’accompagner sur les dates convenues. Pas facile de travailler avec
des musiciens, qui plus est très occupés ! C’est à cette occasion que je
rencontre Daniel Petitjean, saxophoniste. Cette fois-ci c’est littéralement une
recréation de la pièce que nous faisons et qui débouche sur de nombreuses
collaborations avec Daniel, musicien, comédien,
auteur/compositeur.
Espace Kiron - Paris
Photos : Pierre Fabris
Au même moment, la Bayadère est créée une deuxième fois (1992)
et le spectacle tourne durant trois saisons (1992/94).
Engagée par les Jeunesses Musicales de France
(J.M.F.), je tourne avec un spectacle
jeune public accompagnée par le musicien Ravi Dharmaraja (mridangiste). Durant deux saisons, nous faisons plus de cent cinquante dates et
traversons la France en long, en large et en travers avec un spectacle/démonstration.
Nous expliquons la danse et la musique indiennes à des publics pouvant aller de cent à plus de cinq cent enfants. Ils nous arrivent de faire
trois spectacles par jour, un le matin
et deux l’après-midi, nous changeons de villes tous les jours. Ces tournées
sont épuisantes mais très formatrices.
A partir de 1994, je participe à un projet pédagogique « Les forêts vierges » avec le Centre National Chorégraphique du Havre – Haute Normandie. A l’époque c’est François Raffinot, chorégraphe contemporain qui en est à la tête, la coordination du projet est confiée à Odile Cougoule. Le but de ce projet est de créer un spectacle avec des enfants autour du « Livre de la Jungle ». C’est une aventure passionnante qui s'échelonne sur plusieurs années et qui fait suite à un travail régulier dans les écoles au Havre. Pendant trois ans, j’enseigne la danse à une classe de CLIS. Les classes pour l’inclusion scolaire permettent l’accueil dans une école primaire ordinaire d’un petit groupe d’enfants, 12 au maximum, présentant le même type de handicap. Je vais donc suivre ce même groupe d'enfants, avec la même institutrice de 1994 à 1996. C’est incroyable de voir la progression des enfants et l’effet de la danse sur leur évolution.
Tous les enfants qui participent à ce
spectacle ont au préalable découvert plusieurs styles de danse, ils ont été initiés à la danse
indienne, la danse africaine, la danse contemporaine et classique, la capoeira et ils ont
fait un peu de théâtre. La mise en scène est réalisée par Julien
Bouffier, assisté par Valérie Crépin danseuse contemporaine. Une costumière, Laurence Freychet réalise les costumes et
les décors sont d’Olivier Leboucher. Je crois que les enfants qui ont eu la
chance de faire partie de cette expérience s’en souviennent encore aujourd’hui ! Le
spectacle (déambulatoire) est un succès et un documentaire est réalisé sur la
préparation et le spectacle.
Cliquez :
Extrait du documentaire "Les forêts vierges"
Réalisation : Marie-Hélène Dubois
La rencontre avec Dominique Delorme à Madras a été déterminante.
Nous avons envie de travailler et chercher ensemble pour construire un duo.
Nous créerons « A Fleur de peau » en 1995
après des mois de recherche et de répétitions entre l’Autriche et la France.
Plusieurs tournées suivront.
Cliquez :
Photo : Max-Yves Brandily
J’enseigne pour la première fois à l’Ecole de danse du Ballet du Nord à Roubaix. Une longue collaboration va s’installer qui durera presque sept ans et qui continue encore aujourd’hui sous une autre forme.
Je chorégraphie le rôle dansé de la princesse que j'interprète dans
« L’histoire du Soldat » une pièce musicale (Igor Stravinsky) et
théâtrale (Charles Ferdinand Ramuz) avec la compagnie « Théâtre du Monde »
à Rouen. C’est une pièce pour trois récitants et sept instrumentistes, ma
première expérience avec des comédiens.
Andy de Groat me propose de travailler sur un solo.
Une nouvelle collaboration, un moment de travail en immersion chez Wilfride Piollet
et Jean Guizerix dans leur magnifique studio "l'Aire" sur l’île des Migneaux (Poissy).
Cette résidence débouchera sur la création de « ma déesse SDF ».
Photo : Pierre Fabris
12/ Vitesse de croisière
Un petit retour en arrière… Fin 1994/début 1995, séjour à Madras pour enregistrer avec des musiciens, notamment T.V Gopalakrishnan chanteur renommé, qui a composé une partie de la musique de notre spectacle "A fleur de peau".
Retrouvailles avec Kalanidhi pour quelques semaines de travail. Des moments précieux, indispensables pour remettre « les
pendules à l’heure », se recentrer, se ressourcer.
Avec Dominique Delorme, nous dansons à l’Espace Kiron à Paris en pleine période de grève (novembre et décembre 1995) ! Une expérience inoubliable où nous étions obligés de venir à pieds au théâtre et où le public a eu quelquefois bien du mal à arriver jusqu’à nous... à l’heure ! Je me souviens de mes parents qui arrivèrent à la fin du spectacle après trois heures de route entre Versailles et Paris ! Une quinzaine de dates, le plaisir de danser sur une période un peu longue, de dépasser le trac des premières représentations, de voir le spectacle évoluer et de prendre le temps de s’amuser !
« A fleur de peau, le duo que Kalpana et Dominique Delorme présentent en ce moment à l’espace Kiron, ne manque pas de charme, d’autant qu’il est techniquement très au point. Pendant une heure, on assiste à une parade amoureuse, déployée majestueusement sur une sélection qui mêle musique traditionnelle de l’Inde, musique aborigène d’Australie et le rythme des danseurs eux-mêmes. Très dessiné dans ses lignes géométriques, dans les attitudes sculpturales, étiré dans des figures qui défient l’équilibre, enchevêtré pas les bras dans une évocation discrète de pose érotique, ce duo respire sereinement. Y compris lorsqu’il se durcit, qu’il se tend dans des simulations de combat, laissant surgir une gestuelle d’art martial. Les différences dans l’interprétation enrichissent le propos chorégraphique. Kalpana est plutôt piquante, sèche, fortes dans ses attaques, Dominique Delorme est plus rond, aérien, alangui. Le masculin et le féminin circulent de l’un à l’autre sans se décider à se fixer. C’est sans doute pour cela que ce duo convainc alors que le pari était risqué. En effet il est hardi de mettre l’autre en scène alors que, en bharatanatyam il est justement présent par son absence, par l’évocation : le désir surgissant grâce à sa non-représentation. Kalpana et Dominique Delorme, en travaillant sur la circulation de l’énergie, du mouvement, en jouant sur l’équilibre sculptural, ne se sont pas trompés. Ils ne donnent pas un corps à cet absent du Bharatanatyam, ils le laissent s’incarner librement tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, ou dans la relation, dans l’entre-deux, de l’un à l’autre. » Marie-Christine Vernay – Libération – 7 décembre 1995
Après ces années de recherche, j’ai
eu envie en 1996 de retourner vers les professeurs qui m’avait formée ici en France
au Bharatanatyam : Malavika et Shakuntala et d'aller vers des artistes dont j’appréciais
la démarche Maïtreyi et Dominique Delorme pour leur demander de me transmettre
ou de me chorégraphier une pièce de leur choix. Le spectacle qui allait naître
de ce processus s’appellerait : « 4 Regards sur le Bharatanatyam ».
Quelle joie de partager avec eux, de se laisser porter après ces années d’introspection, de travailler sur d'autres propositions et d'accueillir leurs regards.
Malavika me proposa un tillana dans le style de son maître Ellapa Mudaliar,
Shakuntala, un kirtana appris
avec V.S. Muthuswamy Pillai qu’elle n’avait jamais dansé et qu'elle souhaitait me transmettre.
Dominique Delorme composa pour moi un jatiswaram,
avec Maïtreyi, un petit solo tout en dérision est né de cette collaboration.
Photos : Max-Yves Brandily
« Dans le spectacle récemment présenté, Kalpana a voulu nuancer l’interprétation de quatre pièces du répertoire classique en fonction de l’enseignement et de la vision qu’en avait tel chorégraphe ou telle danseuse. Quant à la danse contemporaine, c’est Maïtreyi qui, en partant d’une posture du Bharatanatyam, a créé cette chorégraphie sur une musique de Henry Cowell et une valse, "la Tordue". Cette danse pleine d’humour et de malice emmène Kalpana sur les difficiles sentiers de la modernité. Ce « Copier-coller » à vous couper le souffle collait parfaitement avec la légèreté d’interprétation de Kalpana qui, sans jamais se prendre au sérieux, nous a révélé que son corps et sa gestuelle pouvaient avoir de l’esprit. C’est ensuite une chorégraphie de V.S. Muthuswamy Pillai qui a permis à Kalpana de nous révéler tout le coté charnel et généreux de sa danse dans un kirtana qui lui fut transmis par Shakuntala. Dominique Delorme a inventé pour Kalpana un jatiswaram éblouissant, mené sur un rythme endiablé. Il a su montrer avec originalité, volupté, sensualité, l’éternel féminin. Dans le tillana, transmis par Malavika, l’effort ne doit jamais être apparent, malgré un engagement physique très dur, seules la grâce, la beauté et la joie doivent être au rendez-vous. Elles y étaient. » M.Y Brandily – Les Saisons de la danse – 1996.
Après la troisième reprise de « Solo à
deux » avec Daniel Petitjean saxophoniste, une longue collaboration
s’est installée. Nous avons créé « Ragalypso » un duo danse et
musique. C’est la première fois que je découvrais vraiment ce qu’était l’improvisation. Un échange riche, qui s'est prolongé sur plusieurs années au travers de trois
créations :
1/ « Ragalypso » en 1997, 2/ « Jan Undo » en 1998 : une
pièce où la musique, la danse et le théâtre se mêlaient et où j'ai eu la chance inouïe de travailler sous la direction de Mickaël
Lonsdale qui a fait la mise en scène du spectacle. 3/ « Etudes » un trio musique et danse avec Daniel
Petitjean et Bruno Grare aux percussions.
Après chacune de ces trois créations, de longues séries de représentations ont eu lieu au Théâtre du Renard à Paris où Daniel était en résidence. Quelques missions pédagogiques ont été organisées autour de « Ragalypso » et « Etudes ». Avec Daniel, nous avons élaboré et développé un travail sur la relation musique et danse, dirigé plusieurs stages, notamment au conservatoire de musique et de danse d'Evron en Mayenne.
Après ma première intervention à l’Ecole de danse du Ballet du Nord à Roubaix où j’étais venue diriger un stage, l'école m'a fait la commande d'une chorégraphie pour 27 jeunes danseurs. Une très riche expérience qui a duré de 1997 à 2005, car la pièce « Etats d’Âmes » a été reprise plusieurs fois, chaque année avec une distribution différente. J’avais décidé pour cette création de m’associer à un musicien : Gérard Hababou percussionniste et un comédien Luc Laporte qui fabriquait des masques et avait été formé à la comedia del arte ainsi qu'à la danse balinaise.
J’avais imaginé certains des rôles masqués : Ganesh, Murugan, Hanuman et deux "messagers". Avec Luc Laporte, nous avons travaillé à partir des documents que je lui avais apportés sur le thème des personnages mythologiques et des peintures qui m'avaient inspiré les différents tableaux chorégraphiques. Je suivais l’évolution de son travail à Paris, c'était magique de voir apparaître les personnages. Une fois les masques réalisés, nous sommes allés ensemble à Roubaix pour un stage de quelques jours où Luc a initié les danseurs au travail du masque. L’école m’a offert des conditions idéales pour faire ce travail avec les enfants et avec le musicien qui a créé la musique pour la pièce et joué sur scène lors du spectacle.
13/ Essoufflement
Les deux créations qui ont suivi en 1998 et 1999 furent des expériences un peu décevantes et parfois même douloureuses. Je crois que je commençais à m’essouffler.
Tout d'abord "le sourire du géant" où le chorégraphe Santha Leng avait décidé d'associer des danseuses de techniques différentes, contemporaine, cambodgienne et indienne avec Nouchka Outchinnikoff, Nathalie Nano et moi-même. C'est Santha qui tenait le rôle principal, un personnage tiré d'une épopée millénaire du Cambodge. Le travail manquait sérieusement de direction, chacun donnait son avis et le propos n'était pas suffisamment clair. Les répétitions s'éternisaient, nous piétinions souvent. Heureusement, Catherine Imbert, danseuse et chorégraphe est venue apporter un regard extérieur et nous a permis de mener à bout ce travail de création. Il me semble que c'était trop lourd et difficile pour Santha Leng de tenir le rôle principal dans la pièce et en même temps, la place du chorégraphe.
La création a eu lieu à Vandœuvre-lès-Nancy où nous avons fait la deuxième partie de la résidence puis nous avons repris la pièce à Paris à l'auditorium du conservatoire du XIe Charles Munch où nous avions commencé le travail. "Le sourire du géant" n’a pas tourné, ce spectacle fut une expérience, j'en ai tiré quelques leçons et cela m’a
permis de rencontrer des personnes merveilleuses avec qui je suis restée en contact.
"Le sourire du géant"
Photos : Anne Nordmann
En 1999, ce fut une autre aventure avec « La création du Monde », un spectacle de marionnettes et théâtre d'ombres mis en scène par Luc Laporte. Nous étions trois danseurs, d’univers très différents allant de la danse contemporaine au cirque en passant par la danse indienne et le théâtre. Nous manipulions donc à vue de grandes marionnettes. J’ai trouvé le travail extrêmement difficile physiquement, c’est la première fois que je participais à une expérience de la sorte. Luc Laporte nous avait choisi parce que nous étions danseurs mais il nous manquait des "clés". Il aurait fallu que nous soyons formés au préalable à la technique de manipulation, au moins faire un stage car découvrir l'univers des marionnettes en même temps que le travail de création, c'était trop ! Notre technique de danseurs ne palliait pas au manque de technique de manipulation. Nous devions assumer des changements de décors extrêmement périlleux, qui auraient dû je pense être pris en charge par des techniciens plateau, pour l'avoir vécu chez Andy de Groat avec une équipe soudée et formidable. Nous devions parfois disparaître derrière certains décors très rapidement et dans des positions plus qu'inconfortables, j'avais l'impression de me faire du mal et cela me rendait terriblement triste. J'avais la sensation de ne pas être à ma place. Sans doute avec un peu plus de moyens, le travail aurait été plus fluide. Cette expérience a été douloureuse physiquement et humainement.
Il y a eu beaucoup de représentations et nous sommes partis en Guadeloupe pour participer au festival « Enfance du Monde » à l’Archipel – Scène nationale de Guadeloupe. Cet épisode fut une belle aventure, dépaysante. Le spectacle a été diffusé durant deux saisons, une série de représentations a eu lieu au Théâtre International de Langue Française (TILF) à La Villette à Paris. Lors de ces représentations en 2000, j’étais enceinte et le coté extrêmement physique du spectacle, même si mes collègues danseurs, adorables et très aidants me soulageaient de certaines tâches, devenait bien trop pénible pour moi.
Improvisation avec Pedro Pauwels
Une très belle rencontre, qui d'ailleurs en a déclenché d’autres, fut celle avec Pedro Pauwels, danseur contemporain. Une très longue collaboration, une amitié aussi. Pedro m’avait demandé de participer à des projets pédagogiques « Danse à l’école » avec le conservatoire de Montreuil. Chaque fin d'année, nous faisions un spectacle où les enfants montraient le travail que nous avions réalisé avec eux et nous les intervenants, nous dansions chacun un petit solo. Nous finissions toujours ces soirées par une improvisation commune, un partage entre danseurs de techniques différentes (classique, contemporaine, indienne, africaine, hip hop...) Des soirées merveilleuses, de vraies rencontres.
Pedro organisait aussi des spectacles où il invitait plusieurs artistes et c'est à ces occasions que j’ai eu le plaisir de partager la scène avec Pedro Pauwels, Anne Marie Reynaud, Wilfride Piollet, Jean Guizerix, et Elsa Wolliaston !
En 1999, Pedro m’a demandé de lui chorégraphier une version Bharatanatyam de "la mort du Cygne" de Saint-Saëns pour son spectacle qui s'intitule « Cygn etc ». Pedro avait déjà demandé à huit chorégraphes-femmes dont l'oeuvre, l'univers, la philosophie l'intéressaient de créer une chorégraphie sur ce thème. J'étais donc la neuvième, malheureusement quelques mois plus tard, Pedro terrassé par une méningite aigüe n’a pu danser cette version de la mort du cygne car suite à la maladie, il a perdu ses doigts. L'année dernière, je suis tombée par hasard sur la vidéo de ce travail.
J’ai décidé alors de reprendre cette pièce, de la réinterpréter.
Cette pièce fait partie de mon prochain spectacle :
"Fais-moi cygne".
14/ Transformation
Ma fille Jeanne est née le 8 mars 2001.
Cette année là, une reprise de « l’histoire du soldat » était prévue depuis longue date à Annecy au mois de mai, le spectacle « Etats d’Âmes » à Roubaix aussi. Jeanne avait tout juste trois mois, elle a fait partie de l'aventure avec toute l’organisation que cela impliquait. Je me souviens qu’à Annecy, je l’allaitais dès ma sortie de scène. Une danseuse du conservatoire, Céline qui m'avait été recommandée, la gardait au studio pendant les répétitions et en loge pendant les représentations. Il en fut de même à Roubaix avec une élève de l'école de danse, Jasmine.
J’avais accepté ces deux projets dans lesquels j’étais impliquée depuis longtemps. J’ai pris conscience très rapidement que je ne voulais pas imposer cette vie là à ma fille. J’ai donc ralenti le rythme, j’avais envie de profiter pleinement de ces années merveilleuses qui me remplissaient de joie et de bonheur.
J’avais commencé ces dernières années à
enseigner un peu plus, sous forme de stages et de cours particuliers car je me déplaçais encore beaucoup trop pour développer un enseignement régulier et stable. J'ai senti la nécessité de réfléchir à la
suite, me poser un peu et respecter cette « révolution » que cette naissance provoquait en moi, autant physiquement que psychiquement.
Je sentais clairement cette étape où l'énergie se transforme, les deux dernières années avaient été éprouvantes. J'ai eu quarante ans un mois après la naissance de Jeanne et j’aspirais désormais à vivre autre chose ; je voulais continuer différemment. Comme je savais que j’enseignerai de plus en plus car cela me tenait à cœur, j’ai commencé à réfléchir à une formation que je pourrais faire pour enrichir l’enseignement que je souhaitais développer.
Je savais qu’ici en France, j’enseignerai surtout à des amateurs. Je voyais déjà à quel point la technique du bharatanatyam était difficile à transmettre, surtout à des élèves qui venaient au mieux une fois par semaine et qui n'avaient pas forcément la possibilité de pratiquer régulièrement. J’avais compris que les difficultés rencontrées étaient souvent dues à des problèmes de positionnement, que la posture du corps était intimement liée à l'émotionnel de chaque personne. J’avais besoin de "clés", d’autres moyens de lecture du corps.
J’ai choisi de suivre une formation en "kinésiologie appliquée" sur trois ans. Non pas pour faire une reconversion et pour devenir kinésiologue mais comme un enrichissement, afin de développer ensuite l'enseignement du bharatanatyam comme je l’imaginais, c'est-à-dire avec une connaissance plus pointue du corps, au sens large du terme, une manière d'appréhender chaque personne avec ce qui la caractérise. Pour ce qui est de l’enseignement, c’était pour moi la suite logique de mon cheminement. Je savais que cela me ramènerai ensuite vers la scène, d’une autre manière et surement vers la création.
C’est à ce même moment que j’ai rencontré Yves Renoux et découvert le Legato, à quelques pas de chez moi. Son enseignement m’intriguait, j’ai suivi ses cours pendant un an. Son travail sur la posture allait dans le sens de ce que je cherchais. J'ai découvert avec lui mes épaules, mes omoplates, ce qui m'a beaucoup apporté pour le travail des bras en Bharatanatyam. C'est aussi à partir de là que je me suis vraiment penchée sur la respiration, comment l'utiliser en fonction du mouvement, de l'énergie motrice. Je suis devenue petit à petit assistante pédagogique d’Yves.Tout d’abord en le remplaçant pour quelques cours puis en acceptant de travailler pour lui pendant 5 ans. J’avais décidé de quitter l’intermittence petit à petit car je faisais moins de scène et ce statut n’avait pour moi plus beaucoup de sens. A l’époque, je donnais surtout des cours particuliers de bharatanatyam, je suis venue les donner au Legato où j’ai ouvert aussi mon premier cours collectif.
Sculptures : Nash
Crypte Notre Dame des Champs à Paris (2002)
Photo : Pierre Fabris
J'ai continué à donner des spectacles et à me déplacer en province pour des missions pédagogiques mais j'étais plus sélective dans mes choix. Nous avions quelques dates avec Daniel Petitjean et Bruno Grare pour notre spectacle « Etudes » et j’ai aussi repris le spectacle « 4 regards sur le bharatanatyam » auquel nous avons apporté quelques changements, notamment avec Maïtreyi. Nous avons retravaillé sur la forme et le fond, le solo « copier/coller » créé en 1998 est devenu « discorde » en 2002.
Photo Pierre Fabris
En 2005, j’ai décidé d’emmener ma petite
famille en Inde à Madras, où je n’étais pas retournée depuis 7 ans ! J'avais envie de partager avec ma fille et son papa, mon amour, ma passion pour l'Inde. Leur en parler n'était plus suffisant, j'avais envie de vivre avec eux un petit bout de ce qui m'avait forgée.
Nous avons rejoint à Chennai mon élève Nancy Boissel qui suivait l’enseignement du fils de mon maître : Kuttalam M. Selvam. Il enseignait et enseigne toujours aujourd’hui dans la même petite salle de danse à Mylapore où enseignait son père. Nancy a commencé le bharatanatyam avec moi en 1997 lors d’un stage d’été en Charente-Maritime puis en prenant des cours particuliers. Elle a obtenu une bourse qui lui a permis de partir en Inde où elle a ensuite vécu pendant de nombreuses années. Elle est aujourd’hui danseuse de bharatanatyam. Très peu d’élèves font désormais ce chemin, de partir en Inde pour faire le « grand plongeon ». Nancy l’a fait.
C’était tellement émouvant de retrouver les lieux intacts et de voir Selvam enseigner, transmettre avec un tel mimétisme ! Je croyais entendre mon maître : V.S. Muthuswamy Pillaï.
15/ Re-lier
Retour en Inde en 2007 avec Jeanne et mon élève Dolsy. Cette fois-ci, j’avais décidé de travailler avec Kuttalam M. Selvam. Une envie irrésistible de vivre cette expérience : redanser ici, chez mon maître, appréhender la manière d'enseigner, de transmettre, de chorégraphier de son fils Selvam. Il en fut d'ailleurs très heureux, lui qui avait vécu mon arangetram au coté de son père et qui m'appelait désormais "father senior student" ! Un moment inoubliable fut d'assister aux premiers pas de danse de Jeanne dans ce lieu qui m’était si cher. Elle a tissé ce jour là, sans le savoir, un lien entre le passé et le présent.
CRR d'Annecy
Coté spectacles, je continuai au gré des
propositions ; spectacles de bharatanatyam et soirées partagées avec d’autres artistes
danseurs, conférences/démonstrations. Retrouvailles
aussi avec Andy de Groat en 2009 pour une soirée rétrospective à l’Auditorium St Germain
à Paris puis au C.N.D à Pantin. La joie
de revivre au travers d’extraits « la Bayadère » et « ma déesse
SDF ».
C’est au Legato que j’ai rencontré Flör Capo,
danseuse et professeure de flamenco. Attirées l’une vers l’autre, nous avons
commencé à échanger, chercher, mettre en lien nos deux techniques de danses : le bharatanatyam et le flamenco. Nous nous sommes associées plusieurs années de
suite pour organiser les spectacles de fin d’année avec nos élèves respectifs. De là est née l’envie de créer ensemble une
pièce qui a vue le jour en 2012 "Femmes Jasmin", suite à
une résidence de quelques semaines au Point Ephémère à Paris mais aussi grâce au travail de recherche que nous menions ensemble depuis deux ans.
"Femmes Jasmin"
avec Flör Capo et Emanuel Raimbault
Cliquez :
Désormais, chaque fin d’année j’organisais un spectacle.
Le nombre d’élèves augmentait régulièrement.
De quelques élèves en 2006, je suis passée en 2013 à une trentaine d’élèves.
Spectacle d'élèves - Espace Jemmapes - Paris - 2013
Certaines élèves ayant désormais une technique suffisamment solide, j’ai proposé à quatre d’entre elles : Alessandra Delfini, Fanny Wiard, Iris Farkhondeh et Morgane Mooken, un travail de création sous la forme d’ateliers chorégraphiques (2014/2015) pour aboutir à une pièce en quatuor le « dhrupad
Espace Jemmapes - 11 avril 2015
Photos : Pierre Fabris
16/ Deuils et réminiscences
Il y a des moments où l’on a besoin de se retourner, ralentir et faire le point avant de continuer sa route.
L’année 2015 a été marquée par le décès de mon père. Comment faire son deuil d’un être si proche et si cher ? Je crois qu'on apprend simplement à vivre avec, progressivement.
"Parava illei"
Photo : Pierre Fabris
Papa est décédé début mai, l’été suivant j'ai plongé corps et âme dans un travail de création. Un été de recherche, des moments riches, intenses. J’avais envie que mon prochain spectacle soit une évocation dansée de toutes les rencontres qui avaient jalonnées mon parcours.
Ecoulement du temps
un présent qui s’ouvre sur un passé ; un
futur,
comme une mélodie qui n’est pas formée d’une
simple addition de notes
mais dans laquelle chaque note découle de la
précédente et colore la suivante.
J’ai donc demandé à Maïtreyi de m’accompagner dans ce processus, de m’aider à tisser le fil de ce récital peu conforme, une sorte de « biographie » faite de réminiscences, d’injonctions, d’appropriations. Nous avions déjà travaillé ensemble et j’avais beaucoup aimé cette collaboration en 1997 puis en 2002, son regard sur la danse, son œil aiguisé et son humour. Je savais aussi que le travail avec elle n'était pas toujours confortable mais j'avais besoin et envie de sortir de ma zone de confort.
« Parava illei » ("Ce n’est pas grave") est donc né de cette recherche avec Maïtreyi et j’ai eu le plaisir de partager deux soirées les 26 et 27 novembre 2015 avec Annette Leday qui dansait en première partie de mon spectacle sa pièce « Silent solo ». Une soirée haute en émotion, que nous avons vécue ensemble, toutes les trois, Annette, Maïtreyi et moi sur cette scène du Mandapa, lieu de nos commencements !
La saison suivante, nous avons décidé avec Armelle Choquard de nous retrouver pour danser sur scène des pièces de nos maîtres respectifs. Armelle, après quelques années chez V.S. Muthuswamy Pillaï, avait décidé de partir travailler avec Sucheeta Chapekar à Poona. Nos routes se sont donc séparées à ce moment là mais nous avons toujours gardé le lien même si nous n'avons jamais habitées dans la même ville à notre retour en France et plutôt loin l'une de l'autre. Un plaisir de réfléchir ensemble à ce récital et nous retrouver pour danser des pièces de répertoire qui nous sont chères, rendre ainsi hommage à nos maîtres. Ce spectacle fut un moment délicieux, la joie du partage avec toujours beaucoup de complicité. Nous avons terminé le récital par une petite pièce qui nous avait été transmise par Kalanidhi Narayanan.
Photo : Morgane Mooken
Le 5 juin 2016, c'est avec joie et beaucoup d'émotion que j'ai accompagné Iris Farkhondeh et Fanny Wiard sur scène pour un récital partagé au Mandapa, lieu hautement symbolique, dédié depuis tant d'années à la danse et la musique de l'Inde.
L’été suivant avec Maïtreyi, nous avons repris le chemin des répétitions. L'envie de poursuivre ce que nous avions entrepris avec « Parava illeï », d'aller plus loin dans la recherche pour encore interroger la plasticité du Bharatanatyam. Nous avons créé une deuxième pièce « Ko Tha Tei » sur la musique de Giacinto Scelsi (KO THA I/II/III) où la guitare est traitée comme un instrument de percussion. Dans cette pièce plutôt sombre, nous avons imaginé le personnage de Nataraja défait, presque abandonné, atterré et blessé devant le chaos actuel de notre monde. La création a eu lieu au Mandapa en novembre 2016 puis la pièce a été reprise à Arta en mars 2017, en amont du stage dirigé par Vidhya Subramanian. Un moment de partage autour de cette chorégraphie a eu lieu aussi à la fin du stage de Vidhya, puis à Castels en Dordogne lors d'un festival organisé par Nancy Boissel. Il y aura aussi plusieurs dates la saison suivante.
En 2016 et 2017 Pedro Pauwels m'a proposé de retravailler avec des enfants en milieu scolaire, deux missions pédagogiques : "Petits pas en Limousin" puis en Corrèze. L'occasion aussi de repartager la scène avec Pedro lors des présentations publiques, improviser ensemble comme nous aimons tant le faire.
17/ 40 ans !
Le 10 décembre 2017, je fêtais mes 40 ans !... de bharatanatyam.
Quarante ans de passion pour la danse.
Cliquez :
Un
moment magique avec les élèves
et le public.
Une très belle soirée, un moment d’une grande générosité.
Un public nombreux et chaleureux.
Fêterons-nous les 50 ans ? en 2027 ?!…
En février 2018, retour au CRR d’Annecy pour diriger un stage où j’ai travaillé avec les enfants sur les «rasa» (saveurs, émotions). Les élèves font tous de la danse classique et contemporaine, c'est très agréable de les faire travailler. Comme à l'école de danse du Ballet du Nord à Roubaix, ils ont déjà une expérience de la scène, sont motivés et curieux. Comme je vais régulièrement enseigner à Annecy depuis pas mal d'années, je retrouve à chaque fois des enfants qui ont pour certains déjà travaillés avec moi, je vois leur évolution. Mon spectacle « Ko Tha Tei » était programmé dans le cadre des « Concerts de midi » à l’Auditorium du Conservatoire en amont du stage, j'ai donc pu aussi parler du spectacle avec eux.
Cette même année, j’ai participé à un projet « Danse et Cinéma » en Mayenne. Des ateliers réguliers avec une classe de 3e du collège Monod à Laval pendant deux mois avec comme finalité, la présentation sur scène d'une chorégraphie de 10mn. Il a fallu vraiment apprivoiser les jeunes qui étaient partants pour l’aventure mais pas toujours dans l’énergie pour danser. Certains étaient très timides, introvertis, j'ai du parfois les "bousculer" un peu. Mais quel bonheur de les sentir adhérer doucement mais surement, de les regarder se laisser prendre au jeu et enfin, partir dans l’aventure.
Comme le thème des ateliers était "danse et cinéma", j’avais choisi de travailler avec eux sur le regard. Leur propre regard et le regard des autres. La classe était divisée en deux, une partie dansait, l'autre partie filmait et prenait aussi des photos. Nous étions donc deux intervenants, un cinéaste encadrait le groupe qui avait pour but de réaliser un petit documentaire qui serait projeté le soir de la présentation. Le groupe d’enfants qui filmait devait apprendre à se montrer discret pour ne pas déranger ceux qui dansaient. Ils étaient avec nous dans l’espace, parfois très proche. A d'autres moments, nous décidions de travailler séparément.
Extrait du documentaire :
Cliquez :
Il y a eu des moments poignants avec les enfants. Lors des répétitions et le soir de la présentation, dans la façon qu’ils ont eu d’être là sur scène, de se présenter devant le public en toute vérité et simplicité, c’était magnifique. Il y avait dans la chorégraphie un moment où ils venaient chacun séparément ou par petits groupes, selon ce qu'ils avaient décidé, ils se croisaient (du regard) pour finalement se placer face au public, immobiles.
La magie a opéré, on ne savait plus qui regardait qui !
Était-ce le public qui les regardait ? Eux qui regardaient le public ?
Un entre-deux,
Ou bien les deux ?
Ils avaient deux cœurs à la place des yeux,
un mélange d’innocence, de profondeur et de
fraicheur.
Ils m’ont
émue aux larmes.
La réflexion d’un parent à la fin du spectacle fut si touchante,
ce papa qui s'est adressé aux enfants pour leur dire « vous étiez tous beaux ! »
Les deux enseignants qui ont participé et m'ont assistée, adhéraient vraiment au projet. C’est d'ailleurs complètement indispensable pour la réussite de ce genre d'aventure car c'est eux qui faisaient le lien entre mes différentes venues. Le professeur d’EPS, une femme énergique, exigeante et le professeur de technologie, un doux/rêveur à la créativité débordante. Le duo était parfait, l'une poussait, l'autre arrondissait les angles ! Ce professeur de "techno" avait mis en place au collège un atelier à la pause déjeuner et entrainait les élèves dans des aventures absolument géniales (expériences, inventions, voyages à l'autre bout de la planète...) J'ai visité l'atelier un midi et découvert les inventions incroyables des enfants !
Si cela vous intéresse, cliquez : Thierry Baffou professeur de technologie
Ensemble, nous avons gagné un pari qui n’était pas gagné d’avance.
La soirée s'est déroulée ainsi : en première partie le documentaire projeté puis la chorégraphie et une discussion des enfants avec le public.
En deuxième partie, mon spectacle « Ko Tha Tei ».
18/ Coup de coeur
Je me rends compte aujourd'hui comme les rencontres ont été décisives tout au long de mon parcours. Elles m'ont souvent incitée à prendre certaines directions, ont coloré mon chemin. Emmanuelle Martin m'a ramenée récemment à ce qui me tient le plus à cœur, la musique... On ne renie pas ses origines ! L'initiative d'organiser des ateliers abhinaya et chant a été provoquée par cette rencontre coup de cœur. J'ai découvert Emmanuelle lors d'un de ses concerts au théâtre du Soleil. Rencontre, discussions, connections. Emmanuelle est partie en Inde à Chennai faire ce long chemin pendant dix ans pour étudier le chant carnatique auprès d'un grand maître : T.M. Krishna. Elle est revenue en France en 2014.
Difficile de concevoir une pratique du bharatanatyam sans avoir les connaissances musicales suffisantes, je propose donc régulièrement aux élèves des initiations à la musique carnatique et notamment des ateliers de rythme. Je pousse les élèves à s'intéresser de près à cette musique savante pour être à même de danser avec la musique.
D'ailleurs depuis quelques années, j’organise des masterclass en invitant d'autres artistes. Je choisis en général des personnes dont j'aime la démarche et qui proposent un travail particulier sur le mouvement ou toute technique qui viendra enrichir le parcours des élèves. J’ai moi-même quelquefois trouvé des réponses à mes questionnements en pratiquant tout à fait autre chose que du bharatanatyam. Des détours sont nécessaires de temps en temps pour rompre avec les habitudes qui s'installent et nous empêchent parfois d'avancer.
Voici les artistes invités par Hamsasya ces dernières années avec qui nous avons vécu des moments extrêmement riches :
Bragha Bessell (abhinaya - 2013), Vidhya Subramanian (Les différents aspects de la déesse : fureur et beauté - 2014) – Le double visage du dieu Shiva - 2017) en partenariat avec Arta, Malavika (Présence du geste - 2016), Mahina Khanum (Les trois courbes : tribhanga - 2017), Maïtreyi (le jeu de l’abhinaya - 2017), Shantala Shivalingappa (initiation au kuchipudi - 2017), Simone Roloff (feldenkreis – la ceinture scapulaire en lien avec le travail des bras en bharatanatyam - 2017), Sangeeta Isvaran (Abhaya « sois sans peur » - 2018), Emmanuelle Martin (D’où jaillit le chant - 2019/2020), Thomas Vo Van Tao (Initiation au mohiniyattam - 2020).
Un orchestre de bharatanatyam est constitué au minimum de quatre musiciens : un nattuvanar (qui soutient le rythme vocalement et avec de petites cymbales), un chanteur, un mridangiste et au moins un instrumentiste (violon, flûte ou plus rarement veena). Nous avons tenté cette expérience tous les trois : Emmanuelle, Venkat Krishnan et moi-même, en travaillant sur un tillana. Danser cette pièce virtuose sans nattuvanar pour soutenir le rythme était un pari difficile, nous l’avons tenté. Un récital entier n’aurait pas été possible avec deux musiciens mais l'expérience sur une danse était passionnante. J’ai vécu cette aventure comme un exercice d'équilibriste sur le fil ! La moindre petite erreur pouvait s’avérer fatale !!! Il m'a fallu travailler à une précision sans failles concernant la partition rythmique et me connecter à 150% avec les deux musiciens. La façon que nous avons eu avec Venkat de décortiquer chaque jati (séquence rythmique) et avec Emmanuelle de les "caler" sur la phrase mélodique fut passionnante. Le but même du tillana qui est d'exploiter au maximum les possibilités rythmiques d'un thème musical prenait tout son sens. Nous avons aussi beaucoup ri, cela n'a fait qu'ajouter plus de joie au tillana !
Le spectacle s'est déroulé ainsi : en première partie, des pièces de répertoire chorégraphiées par mes maîtres sur des musiques enregistrées, en deuxième partie : la pièce narrative que nous avions travaillée avec les élèves lors des ateliers "abhinaya et chant" avec Emmanuelle, un duo d'Emmanuelle et Venkat krishnan (chant et mridangam) et le tillana tous les trois. Virginie le Coënt nous accompagnait à la tampura.
Je le répète souvent aux élèves, il ne s’agit pas de suivre les musiciens, le chef d’orchestre c’est la danseuse. Cette expérience avec Emmanuelle et Venkat a été tellement motivante, ces prises de risques nous apprennent beaucoup, sont passionnantes, je dirai même plus, vitales !
Fin 2018 (décembre/janvier 2019), un nouveau séjour à Chennaï cette fois-ci avec Morgane Mooken. L’occasion pour elle de
découvrir l’enseignement du maître M. Kuttalam Selvam, pour moi de prendre avec
lui des cours de nattuvangam et de profiter du festival. Concerts, spectacles
de danse magnifiques ; ces séjours, même s’ils sont souvent trop
courts, sont à chaque fois très intenses.
Avec Iris, Fanny et Morgane, nous avons repris le chemin des répétitions début 2019. La chorégraphie que j’avais faite en 2015 « dhrupad » en quatuor, nous l’avons reprise en trio. Elles partageaient toutes les trois un récital en juin au Mandapa, nous avons préparé des solos, un duo et un trio. Elles ont fait un travail magnifique, le spectacle était vraiment très beau.
Répétitions
Avec Emmanuelle Martin nous avons proposé deux stages « musique et danse » dans ce magnifique cadre à Arta – Cartoucherie de Vincennes. Des moments privilégiés qui me font souvent réfléchir sur la forme de ce que j'ai envie de développer avec les élèves. Sans doute les cours réguliers sont nécessaires mais c’est lors des stages que j’arrive vraiment à développer ce qui me parait essentiel dans cet enseignement et qui nécessite de décrocher du quotidien, s'immerger que ce soit pendant 3 jours, une semaine ou des années !
En février 2020, grand retour après plus de dix ans à l’école de danse du Ballet du Nord pour un stage et un spectacle avec les élèves sur le thème « la Bayadère/bharatanatyam » ! C’était comme retourner « à la maison », une semaine formidable, la joie de retrouver l'équipe de professeurs et tous ceux qui gravitent autour et font de cette école un lieu merveilleux. Il fallait monter trois chorégraphies avec les élèves, ces petits danseurs qui ont la soif d’apprendre, la discipline qui va avec et qui emmagasinent si rapidement tout ce qu'on leur propose.
20/ Fais-moi cygne
« Dis-moi Ô cygne, ton antique histoire.
De quel pays viens-tu ? Ô cygne ?
Vers quel rivage t’envoles-tu ?
Où prendras-tu ton repos et que
cherches-tu ?... »
(Extrait d’un poème de Kabir
traduit sur la version anglaise de Rabindranath Tagore)
Ce spectacle était programmé le 28 avril 2020, reporté le 15 novembre 2020,
il verra le jour je l'espère bientôt.
L'histoire du cygne a commencé en 1999 quand sur la demande de Pedro Pauwels (chapitre 13), j’ai chorégraphié une version bharatanatyam
de « la mort du cygne ». Marquée
et très touchée par le courage de Pedro, impressionnée par cette incroyable
force de vie qui l’a mené à danser à nouveau sur scène si rapidement après sa
maladie, la nécessité de donner une vie
nouvelle au cygne s’est imposée. Au fur et à mesure du travail, ce "cygne" est devenu le
fil tendu qui m’a menée du début à la fin du récital. Danser
un margam « chemin »
est un but à atteindre dans
l’apprentissage d’une danseuse de bharatanatyam. C’est un passage obligé qui se
concrétise lors de l’arangetram, premier récital sur scène. Une porte qui
s’ouvre sur un chemin, celui de devenir danseuse. Que signifie aujourd’hui pour
moi : danser un margam ? Quelles transformations s’imposent ? Se
mêlent dans ce récital des pièces classiques, chorégraphiées par mes maîtres
V.S. Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan et des moments de création. Les
chorégraphies et musiques ont été choisies pour tracer un chemin du début à la
fin du récital. La présence d’un regard extérieur me paraissait essentielle
dans l’élaboration de ce solo, j’ai choisi de m’associer à Nirupama
Nityanandan qui a posé son regard. A partir de nos échanges, le spectacle a
pris forme. Pour la petite histoire, en
1980, lors de mon tout premier séjour à Madras, la première danseuse que j’ai
vue sur scène danser un margam fut Nirupama,
ce souvenir reste aujourd’hui encore très vivant.
Nirupama est formée au bharatanatyam depuis l’âge de 6 ans à Chennai. Au théâtre, elle fait partie de la troupe du théâtre du Soleil où elle interprète de grands rôles : Iphigénie, Electre, Cassandre dans les Atrides… Lady Macbeth. Elle participe aussi à d’autres aventures théâtrales en France, aux Etats Unis et en Inde.
Mes vœux pour 2021,
retrouver le chemin des studios,
les spectacles, les élèves,
et continuer,
ensemble.
Kalpana
21/ Après !
Il y a l'avant et l'après.
Nous sommes nombreux à avoir ressenti les transformations. La génération "visio" est née, "zoom" bat désormais son plein. Ce qui nous a en quelque sorte sauvé la vie, permis de maintenir du lien, fait partie désormais du quotidien.
Non, vous ne m’aurez pas ! Si je fais ce métier, c’est pour sa dimension humaine. A travers l’écran je ne sens rien et je deviens folle. Une fois de plus on veut nous mettre dans des boites.
Une personne qui entre dans le studio en silence dit déjà à elle seule tellement de choses. Appréhender, sentir, deviner, toucher. Je prépare ma séance et quand les élèves sont là, je sais qu’une fois de plus, il me faudra inventer dans l’instant. La "visio" restera pour moi quelque chose de très exceptionnel, pour faire un point avec une élève qui est loin, ou avoir une discussion mais pas un cours, NON.
Donc le chapitre est clos et hop on passe à autre chose !
Cette période « Covid » m’a obligée à me poser, pas le choix. La solitude fut mon lot mais de nouveaux liens se sont créés. Je me rends compte que pour écrire, raconter il faut du recul. Je ne suis pas certaine d’en avoir encore suffisamment mais essayons quand même.
Je ne m’attendais pas à une telle richesse, à de si belles surprises lors de la reprise !
Je me souviens exactement où je me trouvais. J'ai reçu un appel téléphonique de monsieur l'attaché culturel de l'Ambassade de l'Inde. J'étais à Micadanses entrain de travailler. Nous avions depuis peu, à nouveau le droit d'aller en studio. La nouvelle fût renversante !
Recevoir cette reconnaissance : le « ICCR Distinguished Alumini Award 2020 » du gouvernement indien m’a profondément touchée ; d'autant plus sachant que la dernière personne en France à l'avoir reçue était Milena Salvini en 2014. Milena m'a tellement encouragée, soutenue. A cette annonce, elle ne cacha pas sa joie ! Je pense souvent à elle, à mon père aussi quand j'ai besoin d'un petit coup de fouet. Ce prix m’a été remis en août 2022 (retard dû aux confinements successifs) à l’occasion des 75 ans de l’Indépendance de l’Inde. C'est son excellence Monsieur Jawed Ashraf Ambassadeur de l'Inde en France, qui me l'a remis. Je n'oublie pas l’entretien si chaleureux que j'ai eu avec lui (derrière les masques) en avril 2021 quand la nouvelle est tombée. La discussion que nous avons eue dans son bureau à l'Ambassade a mis en évidence son intérêt pour la culture ainsi que pour nos parcours atypiques. Un moment très émouvant qui m’a fait prendre conscience du temps qui passe, du chemin, du travail. Merci à celles et ceux qui ont été là, présents à mes cotés dans ce moment.
La reprise d’abord
enjouée n’a pas été pour autant facile. Les comportements avaient changé, les habitudes aussi. Pour certains c'était devenu une facilité d’avoir un cours à
domicile dans son salon, le professeur derrière l’écran, pas besoin de se déplacer. Mais aussi chacun avait mis à jour ses priorités ou pas.
Une nouvelle étape où à nouveau, tout restait à
inventer.
22/ Retour sur les planches
L'été où nous avons pu reprendre normalement dans les théâtres, le festival à Redon qui avait été annulé/reporté l'année précédente à notre plus grande déception, a pu enfin voir le jour. Ce fut une bien belle expérience que ce partage de scène avec Lakshmi Lanoire. Dans le cadre des "Musicales de Redon", nous avions proposé un récital à deux. Une belle entente, la joie de danser ensemble. Un vrai régal de retrouver la scène, le public (une salle comble) et de travailler dans une telle fluidité.
23/ Mettre à jour
La reprise des cours m’a permis d’observer, de mesurer le nouvel engagement mais aussi le désengagement de certaines élèves. Douter, s’adapter aux changements, dédramatiser, laisser aller, affirmer les priorités, tenter d’imaginer la suite.
Physiquement, malgré le fait que pendant cette période je m’étais astreinte à une pratique régulière, la saison 2021/2022 a été un cap évident, affectée aussi par le covid que j’ai attrapé et dont les effets désagréables ont duré. Il a fallu trouver une énergie différente, un nouvel élan. Le spectacle « Fais-moi cygne » né pendant cette période a bien eu lieu cette fois-ci. Je l'ai repris deux fois depuis mais il a pris une autre forme, des transformations se sont imposées autant sur un plan physique, qu’émotionnel. Toujours surprise de voir à quel point je me perds dans les méandres de la pensée, comme les inquiétudes sont là, prégnantes, parfois obsédantes. Un détour nécessaire dans le processus de création, mille questionnements avant de trouver le calme, une certaine évidence qui invite à se dire : ok, je m'arrête là pour cette fois-ci. C’est l’histoire d’une vie parfois bien fatigante, où beaucoup je me laisse envahir, déborder.
Toujours ces peurs.
Se débarrasser, se défaire puis laisser aller mais lutter encore.
- "Tala" Solo - Création Festival Avignon Off - 1985
- "Deva" Solo - Création Mandapa – Paris -1986
- "Figures" Solo – Création
Espace Jemmapes – Paris - 1987
- "Flamme d’un instant" Solo –
Création TCD – Paris - 1988
- "Solo à deux" avec Pierre André
Valade – Création pour les « Solos sans Frontières » - Mandapa 1989
A partir de la création de Hamsasya
- Re création "Solo à deux" - avec François Bru pour les « « 38e Rugissants » –
Grenoble - 1992
- "Mi-chaud/Mi-froid" Duo avec
Dominique Bousquet – Création pour Danse à Épinal - 1990
- Rôle dansé dans "La Bayadère" Andy de Groat – Création Vaux-en-Velin 1988 – Recréation
Aulnay-sous-Bois - 1992
- Rôle dansé dans "L’histoire du
Soldat" mis en scène par F. Quillet - Création Rouen - 1993
- "À Fleur de peau" Duo avec
Dominique Delorme – Création Espace Kiron – Paris -1995
- "Ma déesse SDF" Solo mis en
scène par Andy de Groat – Création Opéra de Massy - 1995
- "Ragalypso" Solo Musique et danse
avec Daniel Petitjean – Création Théâtre du Renard - 1997
- "4 Regards sur le Bharatanatyam" Solo- Pièces transmises ou chorégraphiées par :
Malavika, Shakuntala, Maïtreyi et Dominique Delorme
Création Mandapa – Paris - 1997 –
Re création à D.T.M - 2002.
- "États d’Âmes" Pièce chorégraphiée par Kalpana pour 27 danseurs de l’École du Ballet du Nord – création musicale Gérard Hababou
Création Le Colisée – Roubaix - 1998 – re création à la
Métaphore – Lille 1999
- Rôle dansé dans "Yan Undo" écrit par Daniel Petitjean - Mis en scène par Michael Lonsdale
Création Théâtre du
Renard – Paris - 1998
- "Études" Solo- Musique et Danse
avec Daniel Petit Jean et François Bru (musiciens) – Création Théâtre du Renard
– Paris - 2003
- "Femmes Jasmin" Duo avec Flor
Capo – Création Point Éphémère – Paris – 2012
- "Dhrupad" pour 4 élèves danseuses : Alessandra Delfini, Iris Farkhondeh, Morgane Mooken et Fanny Wiard
Création Espace Jemmapes – 2015 - Re création - Mandapa 2018.
- "Parava illeï" Solo - mis en
récit par Maïtreyi – Création Mandapa – Paris - 2016
- "Ko Tha Tei" Solo - Chorégraphié
par Maïtreyi – Création Mandapa – Paris - 2017
- "Fais-moi Cygne" Solo – Avec la collaboration
de Nirupama Nityanandan – Création Mandapa – Paris – 2021
Ces créations ainsi que des récitals classiques de bharatanatyam (margam)
ont voyagé à travers la France, l’Inde et l’Europe.
Une fin d'année 2022 marquée par le retour à Chennai. Un séjour court mais intense. Le point de départ, la remise du titre « Nritya Choodamani » à Vidhya Subramanian à Krishna Gana Sabha le 14 décembre. Voilà maintenant dix ans qu'une amitié est née entre Vidhya et moi. Malgré la distance le lien demeure et grandit. Rien de plus précieux dans ces moments importants de se sentir entourée. Vidhya me fit part rapidement avant que la nouvelle soit officielle, de sa joie à l'idée de partager ce moment avec celles et ceux qu'elle aime ; un signe discret mais clair et ma décision fût prise, profiter de cette occasion pour retourner à Chennai.
Encore et toujours sentir à quel point l’Inde est mon pays de cœur. J’ai retrouvé là les quelques personnes qui me sont si chères, j’ai vu des spectacles qui m’ont transportée, chamboulée. J’ai été saisie par le changement, la remise en question, la démarche engagée de certains artistes. Danseuses et danseurs engagés au sens "totalement investis", au service de leur art avec une réflexion, des questionnements incessants.
On m'a demandé récemment quelle était l’artiste qui depuis toutes ces années m’avait le plus marquée ? Eh bien s'il ne faut donner qu'un seul nom, sans hésiter : Sanjukta Panigrahi ! Pour cette raison évoquée juste au-dessus ; quand l’artiste et l’art ne font plus qu’un. Quand l’ego s’efface pour laisser place à la Danse. Je n'ai trouvé aucune photo d'elle qui rende cette émotion et malheureusement, les vidéos sont rares et de mauvaise qualité. Elle est partie bien trop tôt.
Je garde ce souvenir inscrit au plus profond de mon coeur.
27/ Fin d'un cycle
Avec Emmanuelle Martin, de nombreuses collaborations ont vu le jour (chapitre 18). Cette envie toujours de creuser la relation musique / danse et partager avec les élèves notre passion commune pour la musique. C'est la musicalité qui fait la différence entre une ou un danseur et un autre, je ne peux pas comprendre comment on peut danser le bharatanatyam sans recevoir parallèlement une formation musicale. Je le réexplique souvent aux élèves, lors d'un spectacle c'est la danseuse ou le danseur le chef d'orchestre. Je rêve (j'y arriverai un jour), d'offrir la possibilité aux élèves, de danser avec des musiciens ""live". De même, je n'imagine pas un "arangetram" sans musiciens. Être à même de danser accompagné par des musiciens, une étape qui fait partie intégrante de l'apprentissage. Apprendre à "tenir la barque" permet d'acquérir une grande précision. On en ressort évidemment plus "solide" et autonome.
Avec Emmanuelle nous avons proposé deux cycles sur deux saisons : "abhinaya et chant" (5 weekends) et "Entrez en résonance" (4 weekends) pour donner la possibilité aux élèves d'aller en profondeur. Les stages ont rencontré du succès mais c'est un véritable luxe de proposer des stages avec deux professeurs (sans demander un tarif faramineux aux stagiaires) et nous n'avons pas réussi à rassembler suffisamment de monde pour continuer ce travail plus longtemps.
Ce n'est pas la seule raison qui nous a poussé à faire une pause. Nous avons souffert l'une et l'autre de ne pouvoir aller plus loin dans le processus que nous avions imaginé. Cela aurait nécessité un travail personnel plus approfondi de la part des stagiaires entre les différentes sessions, condition sine qua non pour passer par dessus certains blocages et pouvoir passer à l'étape suivante. Même si les participantes se montraient pour la plupart passionnées dans le moment du stage et nous ont fait de très beaux retours, nous avons ressenti l'une et l'autre une grande frustration, nous nous sommes essoufflée.
Nos tempéraments passionnés l'une et l'autre, liés à nos métiers et nos choix de vie font que nous mettons la barre assez haut ; j'en ai conscience et c'est une réflexion parfois même un combat que je mène régulièrement avec moi-même. Je m'efforce parfois de mettre de "l'eau dans mon vin".
En tout cas, nous avons décidé de faire pour l'instant une pause et réfléchir à la suite qui pourrait avoir lieu sous une autre forme. Nous sommes nombreux toutes esthétiques confondues à constater que le cours de danse est vécu de plus en plus comme un moment unique, une parenthèse, une respiration peut-être. J'ai beaucoup d'admiration pour mes élèves amateurs qui petit à petit trouvent le plaisir dans le fait de reprendre et répéter les bases sans se lasser. Elles ont compris pour la plupart cette nécessité d'encrer la technique, sans quoi la danse n'a pas lieu.
Je réfléchis beaucoup et de plus en plus à la pédagogie à adopter dans ce nouveau contexte. J'ai pris la décision récemment de ne plus créer de nouveau cours collectif niveau débutant. Je préfère suivre mes élèves et accueillir de nouvelles personnes qui ont déjà des bases solides. Cela ne m'empêchera pas d'aller donner des stages, des ateliers pour faire découvrir le bharatanatyam ici et là et suivre quelques nouveaux élèves en cours particuliers qui ont le désir d'entrer dans ce processus d'apprentissage.
La danse (comme la musique) n'est définitivement pas une activité de loisir mais une école et les élèves sont là toujours et de plus en plus nombreuses, venues des quatre coins du monde et cette diversité me remplit de joie !
"Après avoir
positionné mes mains jointes au-dessus de la tête, posture qui me permet
d’entrer dans cet état intérieur propre à la danse, la première fois que
j’ouvre mes bras en Natyarambhe dans l’alarippu j’ai cette image de
pousser une porte et d’entrer dans l’espace, l’espace de la danse.
Je découvre avec
le jatiswaram, une partition musicale et comment rythme et mélodie s’imbriquent,
je commence à comprendre, sentir les deux niveaux d’interprétation qui
correspondent à deux énergies : celle du bas du corps (plus percussive),
celle du haut du corps (plus fluide, plus lyrique).
Le shabdam
me donne accès simplement à mes premières émotions au travers de la narration mais c’est dans la danse suivante qu’exprimer va prendre toute sa dimension.
Avec le varnam j’entre au cœur de la danse quand nritta (danse pure) et abhinaya, danse
narrative se succèdent, s’entrecroisent, s’entremêlent où les deux
aspects se nourrissent, s’enrichissent mutuellement ; où danser et
exprimer, où musique et danse ne font plus qu’un.
Les padam
m’invitent à aller encore plus loin ; relier la danse à mon vécu, lâcher
prise pour aller chercher, conduire, donner vie aux personnages que
j’interprète, devenir l’eau, la fleur, le ciel, donner libre cours à mon
imagination.
Mon amie Nouchka Outchinnikoff avec qui j’ai partagé la scène il y a quelques années m’appelle un jour pour me parler de son projet de monter un événement à Ouessant. Elle me demande si je veux bien y participer, c’est évidemment oui.
Les initiatives personnelles comme celle de Mireille Leterrier
à Saint Florentin et bien d’autres encore, sont des moments forts et souvent
inoubliables, en essuyer les plâtres un geste amical, une
nécessité.
Créer de toutes pièces un écrin où le spectacle doit avoir lieu dans des endroits improbables, j’en ai quelques souvenirs cuisants lors des tournées JMF (Jeunesses Musicales de France) ou encore des tournées CCAS et aussi Avignon OFF. Un réfectoire, une arrière-cour, une salle polyvalente froide et impersonnelle et j’en passe. Se maquiller à 11° dans un escalier derrière la scène je m’en souviens, dans une cuisine de cantine avec l’odeur du bifteck/frites aussi. Nous sommes loin des conditions d’un théâtre et d’une scène à l’Italienne, de plateaux que je n’oublierais jamais par ce qu’ils imposent (Arsenal à Metz, Quartz à Brest, Opéra de Montpellier et Massy-Palaiseau, d’autres encore…). L’adaptation est indispensable dans les deux cas, se fait dans l’instant pas d’autres choix, sinon de se rétamer. Ces expériences m’ont tant appris, aujourd’hui cela reste important pour moi de continuer de manière choisie bien sûr, à vivre ces expériences.
Quelques tapis pour réchauffer l‘atmosphère, des épingles à linge et du gaffeur (indispensable kit du danseur nomade), deux projecteurs, une corbeille de fleurs, quelques bougies, de l’encens et l’affaire est dans le sac ! Ici c’est la proximité avec le public qui importe et le spectacle a été préparé pour cela. Danser, parler, expliquer séparément et les trois à la fois.
De cette semaine à Ouessant je retiens évidemment mon expérience à l’EHPAD. J’ai vécu là avec une quinzaine de personnes qui m’ont tant donné d’amour que mon cœur était prêt à exploser, un moment inoubliable. Ces visages fermés, absents quand je suis arrivée dans la salle où ils attendaient se sont ouverts en quelques secondes. Les doigts atrophiés, repliés sur eux-mêmes ont commencé à bouger sur mes indications et ma proposition de les déplier un à un. Les regards se sont éclairés et les mots que j’ai reçus par la suite m’ont fait fondre.
Dans les endroits différents où j’ai dansé, pour la plupart le bharatanatyam était une totale découverte. Le dernier soir le spectacle terminé je suis restée longtemps à répondre aux questions passionnantes, menant à des discussions pointues sur la danse, l‘histoire de cette danse, l’Inde, la vie.
Je retiens ces trois petites filles assises par terre au premier rang au Roc’ Ar Mor, leurs yeux dans mes yeux, puissants et interrogateurs. Leur légère inquiétude quand j’appelle l’enfant Krishna, à l'idée que je m’adresse à elles (une était presque prête à se lever et venir), à la question de ce jeune garçon qui voulait savoir si « QUAND MÊME 😅 l’héroïne retrouverait finalement son amant et si les dieux n’étaient finalement pas des humains, des animaux ou tout à la fois.
<3 <3 <3
RépondreSupprimerMerci Kalpana! J'attends impatiemment la suite!
RépondreSupprimerTon journal m'a passionné et m'a fait découvrir ton parcours si riche de rencontres et de passion. Merci Kalpana, très heureuse d'avoir croisé ta route.
RépondreSupprimerBonjour Kalpana,
RépondreSupprimerLe récit de votre impressionnant parcours me touche beaucoup. J'ai moi-même commencé à danser en prenant des cours avec Malavika à 6 ou 7 ans, quelques années avant vous je pense. Puis elle s'était brusquement arrêtée pour préparer un spectacle... Ça m'a vraiment marquée. Merci.
Daphna
Merci pour ce retour Daphna
SupprimerQuelle joie de lire toutes ces pages, de te connaître et reconnaître à travers ton récit, tellement riche et totalement habité par la sincérité et l'authenticité... Je suis impressionnée, honorée aussi d'être ton amie - depuis nos premiers pas de danse quand nous ne savions pas que nous étions voisines, et puis à travers la belle rencontre à Roubaix (Violette Verdy était là elle-aussi, sans doute pas un hasard que cette grande dame qui avait un maître indien se soit trouvée avec sa voix chantante sur notre route), et puis Annecy, et puis et puis... il fallait trouver les occasions, impossible de ne pas se recroiser... de ne pas prolonger notre amitié à travers ce qui nous fait vivre, l'instant de création, l'aventuuuure... toujours ! A suivre...
RépondreSupprimerMerci Mireille pour tes mots, notre amitié et complicité me sont très précieuses.
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