L'art du Bharatanatyam
le Bharatanatyam réunit vigueur et rapidité.
Symbolisme et technique s'allient harmonieusement.
Le disciple apprend tout d'abord les pas fondamentaux, adavus. Ce système des adavus est déjà décrit dans un ouvrage du roi marathe Tulaja (XVIIIe siècle). Il a été influencé plus anciennement par les karanas, poses que l'on retrouve sculptées dans la pierre des temples du sud de l'Inde (Tanjore, Chidambaram, Tiruvanamalai). Une fois ces adavus assimilés, l'élève entre peu à peu dans l'apprentissage d'un margam (suite de danses).
MARGAM
Voici la splendide description du margam faite par la danseuse légendaire Balasaraswati
qui compare le déroulement du récital de bharatanatyam
Les différentes pièces du margam
PUSPANJALI : offrande de fleurs. La danseuse offre des fleurs et invoque le dieu, salue le maître et le public et rend hommage aux ashtadikpalas* : gardiens protecteurs des huit directions. Cette danse est composée de mouvements de danse pure "nritta" et se termine généralement par un court verset en hommage au dieu, le plus souvent Nataraja. Musicalement, cette pièce est composée à partir des quatre syllabes rythmées « tha dhi tom nam ».
*Les 8 gardiens : Kubera (pour le nord), Yama (pour le sud), Indra (est), Varuna (ouest), Isana (Shiva) (nord-est), Agni (sud-est), Vayu (nord-ouest), Nirrti ( sud-d’ouest).
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Puspanjali - Apoorva Jayaraman
Une autre pièce d’ouverture est le MALLARI interprété par le « periyan melam » nom sous lequel sont connus les deux instruments : le nadasvaram et le thavil. On retrouve ces instruments joués lors de toute cérémonie dans les temples ou lors des mariages. Pendant les fêtes religieuses, on promène la divinité en procession autour du temple accompagnée de ces deux instruments. C’est à cette occasion que le mallari est joué et dansé.
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Mallari - explications/démonstration
Le TODAYA MANGALAM fait aussi partie de ces pièces d’ouverture, mélange de danse pure et invocation au dieu. Cette danse commence par des syllabes rythmiques scandées de manière mélodique où vient se mêler un sahitya (contenu littéraire).
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Todaya mangalam - Apoorva Jayaraman
ALARIPPU :
Dans l'alarippu qui
veut dire « ce qui éclot et procure la joie », il y a une
progression des mouvements et de leur complexité de telle manière que l’ensemble
de la composition évoque la fleur qui s’ouvre. Cette pièce commence par des mouvements
des yeux, de la tête, des épaules puis continue avec les mouvements de bras,
des jambes et des pieds. L’alarippu peut
être chorégraphié sur chacun des rythmes des cinq jati : tisra (3), catusra
(4), kanda (5), misra (7), sankirna (9). Il n’utilise qu’un nombre restreint d’adavus,
les lignes doivent rester sobres, pour servir le sens même de cette
danse.
Balasarasvati disait :
“L’alarippu, qui est basé sur le rythme seul, met en valeur le charme
particulier de la danse pure. Les mouvements de l’alarippu décontractent
l’esprit de la danseuse, et de cette façon détendent et coordonnent les membres
de son corps, et la préparent pour la danse. Le rythme a une capacité exceptionnelle
à apporter la concentration. L’alarippu est précieux pour libérer la danseuse
de la distraction et rendre son esprit concentré.”
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Puspanjali et alarippu - explications/démonstrations
"Hasta alarippu" par Harinie Jeevitha
KAUTHUVAM
Pièces d’invocation dansées dans les temples à des endroits bien précis en hommage à différents dieux et déesses. Certains temples avaient même leur propre kauthuvam. Comme le mallari, ces danses avaient lieu lors des processions, de la «promenade» des dieux. Gangai muttu nattuvanar (grand père des quatre frères qui forment le Tanjore quartett) a composé les principaux kauthuvam qui sont dansés aujourd’hui (Ganesha Kauthuvam, Natesha Kauthuvam, Shanmugua Kauthuvam, Kali Kauthuvam, Andal Kauthuvam...). Musicalement, ces danses sont un mélange de sollukattus (syllabes rythmiques) psalmodiés et vers chantés en hommage au dieu invoqué.
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Murugan kauthuvam par Priyadarsini Govind
Kali kauthuvam par Harinie Jeevitha
JATISWARAM
“C’est une pièce de danse pure "nritta", exécutée sur la mélodie combinée par l’association des
notes de musique dans un raga et un tala donnés. Le sens de la danse pure est
celui-ci : avec ce corps que Dieu nous a donné, il s’agit de créer autant de
belles formes que possible en utilisant les poses et les mouvements rythmés. La
beauté est le seul sens de la danse pure. Elle est dépourvue d’émotion ou de
sentiment. Elle produit un plaisir esthétique particulier.” Krishna
Iyer
“La joie du rythme pur dans l’alarippu est suivie par le jatiswaram dans lequel se surajoute la joie de la mélodie. La mélodie, lorsqu’elle n’est pas accompagnée de mots ou de syllabes a le pouvoir particulier d’unifier notre être. Dans le jatiswaram, la mélodie et le mouvement vont ensemble.” Balasarasvati
Sur les notes de la musique : swara* sont composés les jati (séquences rythmiques). Les séquences dansées sont chorégraphiées sur ces séquences rythmiques mais en tenant compte biensûr de la mélodie. La mélodie et le mouvement vont ensemble comme le dit Balasaraswati, d’où l’importance pour la danseuse d’avoir parfaitement intériorisé sa partition rythmique afin de pouvoir se fondre dans la musique, trouver ses propres repères sur la mélodie.
*swara : SA RI GA MA PA DA NI SA
Morgane et Iris
Jatiswaram en duo
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Jatiswaram - explications/démonstration
SHABDAM
"Puis vient le SHABDAM.
C’est à partir de cette danse que les compositions faites de mots et de sens
sont introduites et permettent l’expression de l’infinie variété
des tonalités émotionnelles du bharatanatyam."
Balasaraswati.
"Dans le shabdam, l’expression (abhinaya) est introduite pour la première fois. C’est un chant à la gloire d’un dieu ou d’un roi. Les paroles (sahitya) de chaque ligne du chant sont précédées ou suivies par un court jati dansé sur les syllabes rythmiques (sollukattu).
Le chant fait généralement l’éloge des
qualités, des exploits et de la générosité du héros et se termine avec des
paroles de salutation. La plupart des shabdam sont chantés dans le raga
kambhoji et quelques-uns en raga mallika.” Le tala (cycle rythmique) est en général misra chapu (7 temps). Krishna Iyer
Shabdam - explications/démonstration
Extrait shabdam par Vidhya Subramanian
VARNAM :
« Le varnam est la pièce centrale la plus élaborée. C’est la « pièce de résistance », la plus savante, qui met en valeur aussi bien la danse pure que l’abhinaya dès les premiers mouvements, puis en combinant les deux aspects. Là se mesurent l’entraînement, les capacités, le savoir-faire et l’énergie de la danseuse. Une série de séquences de danse pure alterne avec l’abhinaya presque à chaque ligne du chant et l’ensemble atteint un point culminant où le raga, le bhâva et le tala sont parfaitement synchronisés. »
Krishna Iyer
La structure musicale du varnam
1/ PURVANGA : première moitié du varnam qui se divise en trois parties :
- pallavi (généralement 2 phrases)
- anupallavi (généralement 2 phrases)
- muktayi / chitta swara, qui fait la liaison entre la première partie et deuxième partie du varnam.
Dans cette première moitié du
varnam (purvanga) les séquences de danse pure chorégraphiées sur des tirmanam (séquences rythmiques) élaborées et complexes au niveau rythmique, alternent avec les séquences
d’abhinaya. Cette alternance entre le nritta (danse pure) et l'abhinaya
(expression) est très nettement marquée.
2/ UTTARANGA : deuxième moitié du varnam qui se divise en deux parties :
- charanam (1 phrase)
- charanaswara (4 phrases)
Dans la deuxième moitié du
varnam, où le tempo peut-être légèrement accéléré, les séquences de danse pure ne
sont plus chorégraphiées comme dans la première partie sur les syllabes
rythmiques (sollukattus), mais sur les swaras (notes), sur lesquelles sont ensuite chantées les sahitya (paroles). Dans cette partie, le nritta et l’abhinaya
se fondent davantage même s’ils suivent toujours ce même principe d’alternance. Les phrases sont
plus courtes, le rythme s’accélère et le spectacle atteint un paroxysme
avec cette danse. Cette pièce peut durer jusqu’à quarante cinq minutes mais c’est de plus en
plus rare. Le varnam aujourd’hui dure en moyenne une demie heure.
Les différentes sortes de varnam :
- padavarnam (plus anciennement appelé chakavarna) sont les varnam les plus utilisés pour le bharatanatyam. Le tempo est assez lent, l’accent est mis sur le sentiment sringara (amour), ces varnam sont d’une grande richesse expressive.
- tanavarnam (appelé aussi svarajati) sont moins adaptés à la danse. Ils sont d’un tempo plus rapide, peuvent donc permettre de déployer une certaine virtuosité rythmique mais le texte poétique plus court, ne permet pas de développer suffisamment l’abhinaya. Ces varnam sont plus souvent chantés en concert, plus rarement chorégraphiés.
Langages utilisés : tamil,
telugu, sanskrit.
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Varnam - explication/démonstration
Harinie Jeevitha - 1ère partie varnam
Extrait varnam - Vidhya Subramanian
Après le varnam il y avait généralement un entracte, cela devient rare car les spectacles sont de plus en plus courts. Une pause pour la danseuse qui souvent change de costume pour la deuxième partie du récital, une pause aussi pour le public.
Je me souviens au Mandapa, à Paris dans les années 1980/1990, l’entracte était l’occasion de partager un chai (thé aux épices) offert par Milena, directrice du lieu, qui apportait au public réuni dans le hall du théâtre une grande marmite d’où s’échappaient la douce odeur de cardamone et de cannelle ! L’occasion pour le public d’échanger quelques mots avant de passer à la deuxième partie du spectacle. Un margam durait en moyenne 1h45 ou 2h, maintenant plutôt 1h15 sans entracte.
PADAM :
Les padam sont des pièces
narratives, plus calmes, qui contrastent avec la pièce
précédente, le varnam. Ces pièces expriment la plupart du temps le sentiment
amoureux : sringara, classifié en deux sortes, l'amour dans l’union : sambhoga
et dans la séparation : vipralambha. Toutes les facettes du sentiment sont
exploitées, l’amour pour un enfant (nombreuses sont les histoires sur l’enfant
Krishna), pour un amant, pour un dieu, un roi. L’héroïne, la nayika (classifiées
en 8 types) représente l’âme humaine qui aspire à s’unir au divin représenté
par le héros, le nayaka (il en existe 3 types selon le natya shastra).
Classification des nayika
et nayaka, selon le natya shastra.
1/Vasakasajja : elle s’habille
et attend son amant.
2/Virahotkanthita : elle est
désemparée par l’absence de son amant, affligée par la séparation.
3/ Svadhinabhartruka : elle
est fière et a confiance en son amant, subjuguée par son amour intense
4/ Kalahantarita : elle a fui et regrette
d’avoir cherché querelle à son amant
5/ Khandita : elle est
jalouse, elle est furieuse. Son amant lui avait promis de passer la nuit avec
elle, il arrive le lendemain et a passé la nuit avec une autre femme.
6/ Vipralabdha : elle est
déçue par son amant qui la trompe. Elle l’a attendu toute la nuit, elle est
souvent représentée entrain de retirer et jeter ses bijoux.
7/ Prositabhartruka : elle
souffre de l’absence de son amant.
8/ Abhisarika : elle ira retrouver son amant, à tout prix.
L’héroïne peut être :
- l'épouse du héros : svakiya
- l'épouse d’un autre : parakiya
- une roturière : sadharani
- une adolescente : mugdha
- une femme mûre : praghalbha
Autres subdivisions :
- celle qui se contrôle et est tolérante : uttama
- celle qui reçoit et donne avec la même facilité : madhyama
- celle qui ne se contraint pas : adhama
Les différents types de nayakas (héros) :
- dhirodatta : courageux et noble, quelquefois arrogant
- dhiralalitha : courageux, solide, naturellement bon
- dhirasanta : courageux et calme
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Kalanidhi Narayanan - astanayika
Les padams sont structurés comme beaucoup d'autres compositions musicales.
Après une introduction sur l'alapana, partie musicale où le raga (mélodie) est exposé et où la danseuse doit introduire l'atmosphère du padam de la même manière que le musicien expose la mélodie et où elle introduit la nayika, la pièce se développe avec :
- le pallavi (le refrain) souvent répété un bon nombre de fois. Mon maître, Kalanidhi Narayanan nous montrait généralement une dizaine d'interprétations différentes. C'est dans le pallavi que l'intrigue est donnée, le thème principal du padam exposé.
- l'anupallavi, souvent descriptif, va permettre de décrire le personnage (nayaka) auquel s'adresse l'héroïne (nayika).
Certains padam commencent par le pallavi, d'autres par l'anupallavi.
- les charanams (couplets) sont les phrases où l'histoire se développe. Il peut y avoir quatre ou cinq couplets et chaque couplet est répété au moins deux fois, ce qui permet d'interpréter différemment chaque phrase en y amenant des détails, des nuances.
Entre chaque charanam, le pallavi est repris (souvent la première partie de la phrase uniquement). A la fin du padam, le pallavi sera repris plusieurs fois (au moins deux fois) et permettra à la danseuse de conclure, voire de sortir de scène.
Dans certains padam on peut développer à l'intérieur d'une phrase ce que l'on appelle sanchari bhava. Cela consiste en l'élaboration d'une ambiance chorégraphique transitoire en développant une idée, une pensée relative au vers qui est interprété. La signification ou l'essence d'une idée peut être rendue en rattachant celle-ci à un épisode d'un autre récit en relation avec ce qui est raconté. La danseuse va donc raconter une histoire dans l'histoire ! L'idée peut être également exprimée par une description élaborée de tous les aspects et de toutes les émotions qui peuvent y être associées.
Au niveau musical, pendant un sanchari bhava, la phrase est répétée le nombre de fois nécessaire afin que la danseuse puisse développer à son aise sa description ou l'histoire qu'elle a choisit de raconter, d'ajouter à son interprétation. Quand les musiciens sont sur scène, elle fera discrètement signe au chanteur à la fin de son développement pour qu'il enchaîne avec la phrase suivante. Quelquefois, ce sont les instruments : flûte, violon, qui prennent le relais en développant le raga. Dans tous les cas, les musiciens suivent pas à pas l'émotion de la danseuse, des moments précieux où l'on peut improviser librement et développer à sa guise une idée. C'est souvent avec les sanchari bhava que l'on peut sentir l'expérience de la danseuse.
Durant mon apprentissage avec Kalanidhi Narayanan, avant de pouvoir choisir une pièce et lui demander de me l'apprendre, elle m'a transmis tout d'abord, pendant plusieurs années, un grand nombre de padam dans le but de me faire découvrir toutes ces nayika, traverser toutes les situations possibles et inimaginables. C'est elle qui décidait de m'apprendre telle ou telle pièce. Certains padam, je ne les ai jamais dansés sur scène. C'était comme une immense palette d'émotions, de situations nécessaires à la compréhension profonde de l' abhinaya, cet aspect de la danse tellement riche et vaste.
Les premiers compositeurs de padams sont :
Purandaradasa (en langue kannada) XVIe siècle
et Kshetrayya (en langue telugu) XVIIe sècle.
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Padam - explications/démonstration
Ce sont aussi des pièces narratives, tirées de la Gita Govinda de Jayadeva (XIIe siècle) qui décrivent la beauté de Krishna, ses amours avec les gopis (bergères), notamment avec Radha. Ces pièces sont souvent un peu plus longues (15mn) qu'un padam classique (10mn).
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"Sakhi he" astapadi par Vidhya Subramanian
JAVALI :
Les javalis sont aussi des poèmes dansés mais plus courts. Le sentiment y est traité de manière plus légère et le tempo plus enlevé. Dans un margam, on danse généralement deux padam et un javali.
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Javali - explications/démonstration
TILLANA
Le tillana est une danse brillante, un véritable feu d'artifice. Cette pièce conclut le récital avec joie et virtuosité et montre l'art de développer toutes les possibilités rythmiques d'un thème musical. Une phrase est dédiée à une divinité, souvent Shiva Nataraja, quelque fois un autre dieu. Cette pièce dure une dizaine de minutes.
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Extrait Tillana par Priyadarsini Govind
SHLOKA
Le shloka est un verset à teneur dévotionnelle qui permet de conclure le récital dans atmosphère calme avec un sentiment de sérénité mais la danseuse pourra aussi choisir de terminer son récital avec le tillana.
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Shloka en hommage à Devi par Priyadarsini Govind
MANGALAM
Salutation finale. La danseuse conclut le récital, salue le maître, les musiciens, le public.
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Margam par Vidhya Subramanian (extraits)
Vidhya Subramanian à l'auditorium du musée Guimet - Décembre 2014
en partenariat avec Hamsasya
Les différents styles en Bharatanatyam
Ces différentes traditions dont le terme correspondant est « bani »,
sont liées pour la plupart (sauf exception) à un lieu précis (village)
d’où le maître dépositaire du style est originaire.
On dénombre en général 5 grands styles qui sont :
Pandanallur/Thanjavur
Balasaraswati
Kalakshetra
Vazhuvoor
Mellatur
Donner une description précise et
détaillée de chaque style n'est pas chose facile et pourrait même paraître
réducteur. Je vais tenter de donner pour chacun des 5 grands styles, les
principales caractéristiques et différences avec à l’appui, quelques documents
visuels (liens vidéos) afin que vous puissiez vous faire une idée par vous-même.
Vous verrez à quel point les différences sont parfois de l’ordre du détail et comme
à l’intérieur d'un même style, chaque interprète peut le colorer différemment selon sa personnalité.
Dans le style Vazhuvoor par exemple, quand on voit danser Chitra Visweswaran puis Padma Subrahmanyam qui ont reçu toutes les deux l’enseignement de Vazhuvoor Ramya Pillaï, ou Priyadarsini Govind puis Vidhya Subramanian qui elles, ont reçu l’enseignement de Rajaratnam Pillai disciple de Vazhuvoor Ramya Pillaï, on observe à quel point ces danseuses sont différentes. C'est passionnant d'observer les ressemblances, les différences, les divergences, de sentir au travers de la danse les différentes personnalités qui s'expriment. Dans chaque style, une large palette est à disposition du danseur qui, à condition d'avoir fait le chemin pour maîtriser la technique, pourra choisir sa direction, trouver sa liberté.
1/ PANDANALLUR / THANJAVUR :
Le répertoire que nous connaissons et apprenons aujourd’hui
en Bharatanatyam, appelé au préalable « Sadir », qui va de l’alarippu
au tillana, a été façonné par le Tanjore quartet, quatre frères :
Chinnayya, Ponnayya, Sivanandan et Vadivelu qui ont vécu entre 1798 et 1832. Ces
quatre nattuvanars, chorégraphes et musiciens furent notamment élèves de Muthuswamy
Dikshitar (1775-1835), poète, chanteur et joueur de veena, l’un des musiciens
formant la trinité de la musique carnatique avec Shyama Shastri (1762/1827) et
Tyagaraja (1767/1847).
Le descendant direct de cette
lignée est Meenakshi Sundaram Pillaï, né le 22 septembre 1869 à
Pandanallur, petit village du Tamil Nadu, dans le district de Tanjore.
Descendant direct du Tanjore quartet (sa mère était la fille du grand Ponnayya),
il fait partie d’une famille où la danse et la musique se transmettent de
génération en génération.
Mon maître, V.S. Muthuswamy Pillaï a étudié les adavus avec lui avant de devenir disciple de Muthukumaran Pillaï (ci-dessous).
Muthukumaran Pillaï et V.S.Muthuswamy Pillaï
Muthukumaran Pillaï est l'autre figure marquante de cette période, contemporain de Meenakshi Sundaram Pillaï. Il est né en 1874 dans un petit village non loin de Chidambaram. Il apprend directement de sa mère, danseuse et musicienne. Il danse dès l'âge de 9 ans. C'est un érudit, il a étudié l'aspect théorique de la danse. Il a étudié auprès de Maharaja Pillaï de Pandanallur, de Sabbhapathi de Rajamannar Koil, il étudie aussi l'abhinaya avec des devadasi dont la célèbre Thiruvalur Gnanam (sans doute pour cela que l'on appelle son style le style THIRUVALAR.) Il est devenu plus tard un très grand professeur à Madras dans les années 1930. Il avait la réputation de démontrer à ses élèves en se levant, même à un âge très avancé. Dans ses chorégraphies, il donnait une très grande importance au rythme, son tempérament très dévotionnel se ressentait dans son abhinaya.
Rukmini Devi
Ram Gopal
Mrinalini Sarabhai
Rukmini Devi raconte que lorsque Meenakshi Sundaram Pillaï et Muthukumaran Pillaï se
retrouvaient pour enseigner à l’institution Kalakshetra, c’était passionnant de
les écouter échanger sur leurs différences ! La différence
fondamentale était que le premier utilisait des mouvements du buste penché en
avant à partir de la taille, alors que le
deuxième gardait une position du buste assez droite.
Rukmini Devi raconte que lorsque Meenakshi Sundaram Pillaï et Muthukumaran Pillaï se
retrouvaient pour enseigner à l’institution Kalakshetra, c’était passionnant de
les écouter échanger sur leurs différences ! La différence
fondamentale était que le premier utilisait des mouvements du buste penché en
avant à partir de la taille, alors que le
deuxième gardait une position du buste assez droite.
Appartiennent à cette lignée
prestigieuse, des maîtres tels que Chokkaligam Pillaï (1893/1968), beau-fils de Meenakshi Sundaram Pillaï, K.P. Kittapa Pillaï (1913/1999), Kandappa Pillaï, son petit fils, descendant direct de Chinnayya du Tanjore quartett.
La danseuse bien connue, Alarmel Valli a reçu l’enseignement de Chokkalingam Pillaï.
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2/ BALASARASWATI
La légendaire devadasi T. Balaraswati (13/05/1918 – 09/02/1984) est née dans une famille de danseurs et de musiciens. Elle étudie la danse de manière très intensive dès l’âge de 4 ans sous la direction du maître Kandappa Pillaï, descendant du Tanjore quartett. Elle donne son arangetram à l’âge de 7 ans dans le temple de Kanchipuram. La musique fait partie intégrante de son apprentissage. Lors de son arangetram, elle danse le varnam tout en le chantant, ce qui était une particularité de son style.
Balasaraswati
Elle étudie l’art de l’abhinaya avec Gauri Amma, devadasi réputée du temple de Mylapore à Madras. Mylapore Gauri Amma avait un très vaste répertoire et connaissait des pièces extrêmement rares. Très expressive, elle chantait d'une voix magnifique, connaissait le sanskrit, le telugu et le tamil. Elle a enseigné à toutes les danseuses de cette génération dont Rukmini Devi. Mon maître d'abhinaya, Kalanidhi Narayanan a commencé son apprentissage avec elle dès l'âge de 7 ans.
Mylapore Gauri Amma transmet l'abhinaya
Lorsqu’il fut interdit de danser dans les temples, Balasaraswati fit partie des danseuses qui acceptèrent de danser sur les scènes des théâtres. Elle danse dans le grand théâtre de "Music academy" à Madras à partir de 1931 et dans toute l’Inde ainsi qu'à l’étranger. Elle dansera à Tokyo en 1961 et en 1962, elle va aux Etats-Unis où elle donne de nombreux spectacles et enseigne. Elle a formé de nombreuses disciples.
Balasaraswati montre un adavu.
Ceux qui ont eu la chance de la connaître et de la voir danser se souviennent encore de la magie de son art, de la puissance de son abhinaya. Mon professeur Malavika m'en a beaucoup parlé. Elle a eu la chance de la connaître. "Bala" comme elle l'appelle encore aujourd'hui, était fascinante et illuminait tout autour d'elle.
Quand elle est passée du temple à la scène, Balasaraswati n’a pas cherché à adapter son répertoire ni d'ailleurs recréer le décor du temple sur la scène. Elle a continué à danser de manière très spontanée. Elle consacrait une large part à l’improvisation dans l'abhinaya. Les poses de nritta (danse pure) étaient très expressives et en lien avec l'abhinaya. Peu de déplacements, des marches simples en avançant et reculant. Son style était assez rudimentaire, très loin de toute vulgarité, un jugement qui circule encore trop souvent aujourd'hui sur les devadasis et peu sensuel. Lors des teermanams, passages sur les sollukattus (syllabes rythmiques), le chanteur continuait la phrase musicale, ainsi la mélodie n’était jamais interrompue, une autre une particularité de son style.
Cliquez :
Balasaraswati par Satyajit Ray
3/ KALAKSHETRA
On ne peut pas parler du style « Kalakshetra »
sans nommer bien évidemment Rukmini Devi (1904/1986). Cette jeune femme brahmine, militante
active du mouvement nationaliste, a joué un rôle important dans la
réhabilitation sociale du bharatanatyam en voulant réformer le Sadir pour en faire
une danse dite « classique » et non « régionale », en
fondant cette danse à partir des textes anciens comme le Natya Shastra (en
sanskrit) et aussi des textes tamils.
Rukmini Devi a appris la danse avec le maître Meenakshi Sundaram Pillaï (lire plus haut – style Pandanallur) et l’abhinaya avec Mylapore Gauri Amma. En créant le Kalakshetra en 1936, le souhait de Rukmini est de redonner toute sa « noblesse » à cette forme de danse en la débarrassant des impuretés qui la recouvrent. Pourtant, la danse dite Sadir, représentée par les renommées devadasi comme Balasaraswati, ne comportait aucun élément vulgaire. Nous devons aujourd’hui à ces femmes la richesse qui caractérise cette danse et sa grande humanité. Les devadasi étaient des femmes libres, danseuses et chanteuses, elles transmettaient héréditairement l’art de l’abhinaya, le nritta (danse pure) étant transmis par les nattuvanars (maîtres) qui conduisaient également les récitals. Elles ont été à une époque bien mal traitées et c'est un sujet très sensible encore aujourd'hui. Pour ceux que cela intéressent, je vous conseille l'ouvrage de Davesh Soneji "Unfinished gestures".
Rukmini a donc cherché à modifier dans le style tout ce qui pouvait paraître sensuel, voire connoté sexuel. Ainsi, dans certains adavus, la position de base des jambes (araimandi) a été modifiée et se pratique une jambe ouverte, une jambe fermée et non les deux jambes ouvertes comme dans les autres styles. Toute rondeur dans le mouvement est exclue, l’éventail des adavus assez réduit. L’abhinaya très stylisé et surtout pas réaliste, doit véhiculer le sens littéral du texte et non utiliser des métaphores. Même certains mudras (gestes de mains) sont bannis si trop évocateurs. Le but est de « spiritualiser » cette danse. Rukmini Devi voulait rendre « spirituel » le sentiment de la « bhakti ».
"Tout le monde s’accorde sur le
fait que la bhakti est le sentiment dominant de l’art indien, et
que sringara, le sentiment amoureux sert de métaphore pour exprimer
l’élan de l’âme individuelle vers l’absolu. Ainsi sentiment dévotionnel et sentiment
amoureux se superposent et se confondent, comme l’atteste la quasi-totalité des
poèmes utilisés dans le répertoire du Bharatanatyam.
Balasaraswati et Rukmini Devi mettent toutes deux l’accent sur
l’importance de la bhakti, mais vont différer sur la façon de
représenter bhakti et sringara. Rukmini Devi privilégie des
gestes de dévotion formelle à l’égard de la divinité. Pour Balasaraswati, sringara est
le véhicule le plus approprié pour traduire la bhakti en projetant un
état émotionnel extrême ainsi que toute une gamme d‘états psychologiques
variés. Rukmini Devi choisit d’omettre délibérément toute composition
comportant des métaphores érotiques et ne voudra utiliser que des gestes et des
expressions du visage dénués de toute sensualité, alors que la pensée indienne
a toujours abondé en métaphores érotiques."
Le sacré et le profane dans le
bharatanatyam (chapitre 3) Anne Marie Gaston
Rukmini Devi est aussi celle qui a « masculinisé » le bharatanatyam en ouvrant l’enseignement aux hommes, en leurs prévoyant des
rôles spécifiques. Elle joue aussi un rôle important dans la reconstitution de
ce qu’on appelle le « dance drama ».
Dance drama
L'institution Kalakshetra est situé à Thiruvanmiyur à Chennaï, dans un cadre exceptionnel, idéal pour étudier et se ressourcer. Les étudiants peuvent recevoir une formation solide. Tous les cours sont dispensés au même endroit ce qui est loin d'être négligeable. Danse (technique et abhinaya), musique, nattuvangam (rythme), théorie, peinture, sculpture. Rukmini Devi a su s’entourer
d’artistes qui partageaient le même esprit qu’elle. Les étudiants viennent pour étudier au sein de cette institution et repartent
ensuite, diplôme en poche, pour exporter l’esprit Kalakshetra en créant leurs propres écoles dans le monde entier, toutes marquées du même sceau.
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5/ VAZHUVOOR
Vazhuvoor Ramiah Pillaï (1910/1991) est une autre figure très importante parmi les grands maîtres de cette génération. Comme son nom l’indique, il vient du village de Vazhuvoor au sud de l’Inde et a appris l’art de la danse et du nattuvangam auprès de son oncle maternel, Nagappa nattuvanar.
Il est devenu très célèbre notamment pour avoir été le maître de Kamala, danseuse et actrice.
"Yaar undanai"
Le style Vazhuvoor est un style très féminin où le coté lasya de la danse, tout en rondeur et fluidité est mis en valeur. Ce style est d’une extrême élégance et utilise beaucoup d'ornementations. Les poses sont très sculpturales et demandent beaucoup de souplesse. Une petit particularité par exemple, les « dit dit tei » se font avec la jambe qui n’est pas complètement tendue. On peut observer beaucoup de petits détails extrêmement raffinés, notamment dans les mouvements des yeux. Les sollukattus (syllabes rythmiques) sont reconnaissables car très particulières et différentes des autre styles. L’abhinaya est assez réaliste. Comme je vous le disais dans mon introduction, c'est toujours impressionnant d'observer à quel point les danseuses qui ont appris ce même style peuvent être différentes, chacune ayant ensuite développé son propre style.
Dans la première génération qui ont reçu directement l'enseignement du maître Vazhuvoor Ramya Pillaï, les deux renommées danseuses : Chitra Visweswaran et Padma Subrahmanyam.
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Padma Subrahmanyam a mené un très long travail de recherche à partir des 108 karanas, ces poses sculptées que l'on peut observer notamment dans le temple de Chidambaram (sud de l'Inde). Les karanas sont en fait des unités de danse et non des poses arrêtées, décrites dans le Nâtya Shâstra rédigé vers le 4e siècle avant notre ère. Padma Subrahmanyam les reconstruit lors d'une étude comparée entre l'observation des sculptures et les textes anciens. Elle créée à partir de là son propre style : le bharatanrityam.
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Dans la génération suivante, les danseuses que nous connaissons bien aujourd'hui et qui ont reçu l'enseignement de Rajaratnam Pillai, lui même disciple de Vazhuvoor Ramya Pillaï sont Malavika Sarukkai, Priyadarsini Govind, Vidhya Subramaniam et bien d'autres qui forment à leur tour des élèves...
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6/ MELLATUR
Ce style a été créé par Mangudi Dorairaja Iyer (1900/1980) de Mangudi, un petit village près de Tanjore. Il apprend le chant de son père Ramanatha Bhagavathar, un chanteur renommé et le mridangam de Sri Anganna Naickar et Tanjavore Vaidhyanata Iyer.
Il a étudié le Bharatanatyam et l'art du nattuvangam auprès de Melattur Natesha Yer, une figure importante parmi les maîtres issus de la « bhagavat mela » une forme traditionnelle du sud de l’Inde dont le kuchipudi est issu. Il a construit et développé son style de bharatanatyam solo à partir de cette tradition. Il a notamment fait renaître la technique du suddha nrittam ou la danseuse danse sur un pot de terre. Musicien érudit, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la musique et la danse.
Ce style de Bharatanatyam est gracieux et raffiné. La position des jambes en demi-plié (araimandi) est particulièrement prononcée ; les karanas et poses acrobatiques sont largement utilisés. Une particularité : les frappes de pieds doivent être moins marquées sur le sol, plus douces que dans les autres styles de bharatanatyam afin de mettre en valeur le son des sarangai (grelots). La manière d'exécuter les adavus est particulièrement pétillante, ce style fait penser je trouve au kuchipudi (un autre style de danse classique qui a puisé ses origines dans le bhagavat mela). Un aspect très intéressant est développé et confère à ce style une élégance toute particulière, l'utilisation des "Gati bedha". Ce sont les différentes manières de se déplacer (marches), décrites dans l'abhinaya darpanam. Il y en a dix. Voici un lien où vous trouverez une description précise de chacune d'entre-elles :
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L’école la plus connue où est enseigné ce style est : "Sridevi Nrityalaya" à Chennaï.
La merveilleuse danseuse Harinie Jeevitha en est issue.
TANDAVA/LASYA
Quelque soit le style de danse indienne, on distingue deux catégories
en fonction de la manière dont les mouvements sont exécutés :
LASYA : délicat et TANDAVA :
vigoureux.
La distinction entre ces deux aspects de la danse est très ancienne et provient d’un mythe associé au dieu Shiva dans sa représentation comme Ardhanisvara « le seigneur qui est à moitié femme ». Cette image est considérée comme l’expression de l’action réciproque des éléments masculins et féminins dans le cycle cosmique. La première danse que Shiva créa fut sauvage et rustre alors que celle créée par son autre moitié Parvati, qui imitait ses mouvements, s’avéra délicate.
Observons
cette magnifique sculpture en bronze du XIe siècle (chola) provenant de
Tiruvengadu (Tamil Nadu). La moitié féminine d’Ardhanisvara n’est ici doté que
d’un seul bras (Parvati est généralement représentée avec deux bras). Avec
habilité, le sculpteur est parvenu à différencier les deux genres et ménager
des transitions subtiles entre les moitiés féminine et masculine de son œuvre.
Il a modelé un hanchement du bassin faisant ressortir la cuisse féminine. De
même le bras masculin est beaucoup plus épais que son homologue féminin et
pourtant l’asymétrie de leurs postures parvient à légitimer ce hiatus en l’intégrant
dans une continuité « naturelle » : le bras féminin épouse la
rondeur gracieuse d’une posture de danse alors que le masculin montre le dos de
la main, prenant ainsi la pose habituelle de Shiva quand il s’appuie sur Nandi
le taureau (ici absent) Le bras masculin supérieur tient la hachette. L’ensemble
du corps suit le mouvement sinueux tribanga en forme de S qui combinent les trois
inflexions : de la hanche, du buste et de la nuque.
Le monde de la danse indienne a repris ces deux versants d’une même unité, les danseurs vont interpréter les personnages non en fonction de l’identité du sexe mais en coulant leur énergie dans un moule de force ou de délicatesse. On va donc travailler à l’intérieur de la polarité de l’énergie et non en fonction du sexe du danseur.
Bien sûr, à l’intérieur de ces
deux catégories, il existe toute une palette, une gamme de « couleurs ».
On peut être délicat ou vigoureux de mille et une manières selon les
situations. On peut s’amuser à trouver tous les adjectifs qui caractérisent
chacune des deux catégories : doux, léger, gracieux… pour lasya, fort,
agité, puissant… pour tandava mais on se rend vite compte comme les mots sont quelquefois
réducteurs. Le danseur va construire son œuvre à travers les sensations de
tension et de relâchement, les sensations musculaires auquel il faut ajouter la
sensation tactile de la plante des pieds qui perçoit la variation de la
pression exercée sur elle par le corps.
Dans l’art du Bharatanatyam, il faut savoir jongler entre tel ou tel personnage et donc jouer constamment avec ces deux faces de l’énergie. Si l’on prend deux exemples assez opposés mais caractéristiques en Bharatanatyam, si l’on incarne Krishna, on pense en terme d’énergie et non de sexe il en est de même si l’on doit incarner Kali ou encore un démon.
Zeami (1363/1444) grand fondateur du nô, a
écrit dans son traité « le chemin qui mène à la fleur », un acteur qui
commence son entraînement, ne doit pas négliger les deux arts (danse et chant)
et les 3 corps (vieillard/femme/guerrier). Il ne s’agit pas là de rôles types
mais bien de corps guidés par une énergie particulière qui n’a rien à voir avec
le sexe. Ce sont trois manières différentes de porter le même corps en lui
donnant des vies différentes à travers différents types d’énergie. Il dit aussi
que le personnage le plus difficile à interpréter est le vieillard que l’on
aura vite fait de caricaturer (en boitant, en se courbant…) en tassant leur
corps, pensant paraître vieux. La danse pour un vieillard est plus fondamentale
que tout autre chose, on doit observer attentivement un vieillard et le
représenter en possession de la fleur, comme si d’un vieil arbre pouvait éclore
une fleur.
Il est intéressant d’ajouter l’importance
de la direction du regard (article ci-dessus) liée à la position de l’épine dorsale.
Automatiquement, si l’on incarne un guerrier (énergie tandava) le regard se
redresse en même temps que la colonne vertébrale. Par contre, si l'on doit incarner
Parvati (énergie lasya) la parèdre de Shiva (action de et non posture), le corps
esquisse un léger tribangua (3 courbes) et automatiquement, le regard va
descendre légèrement.
Les karanas
Les karana sont les 108 unités de danse énumérées dans le Natya Shastra,
traité bimillénaire dont les huit premiers chapitres sont consacrés à la danse.
On trouve ces karanas sculptés dans la pierre de cinq temples du tamil Nadu (sud-est de l’Inde) :
Chidambaram, Kumbakonam, Thanjavur, Tiruvannamalai et Vridhachalam,
ainsi que dans un temple du Maharastra (Satara) et en Indonésie
(Prambanam).
Pourtant, les karana ont longtemps été considérés comme de simples poses figées dans la pierre.
Padma Subrahmanyan, danseuse renommée de Bharatanatyam à Madras entreprend une longue recherche et présente sa thèse « karana in indian dance and sculpture » en 1963. Une étude comparée entre les sculptures observées dans les temples du sud de l’Inde et les textes anciens tirés du Natya Shastra, notamment le quatrième chapitre « Tandava Lakshanam ».
Extrait du Natya Shastra :
16-17. To these words of Siva Brahman said in reply,
"0 the best of the gods, tell us about the use of the angahara."
17-18. Then Siva (lit. lord of the world) called Tamju and
said, "speak to Bharata about the use of the angahara"
18-19. And by Tandu I was told the use of the angahara.
Quelques termes importants pour comprendre les karana :
Sthana : posture (6) comprenant les directions des pieds, l'espace entre les pieds,
les différentes hauteurs.
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Cari : mouvement des jambes.
Jambe = de la taille jusqu'au bout du pied. (32)
16 mouvements au sol et 16 mouvements au dessus du sol.
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Nritta hasta : mouvement des bras.
Bras = des épaules jusqu'au bout des doigts des mains (30)
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C'est la combinaison de ces trois éléments qui fait un karana (unité de danse)
Les 108 karana :
1/ Talapuṣpapuṭam - 2/ Vartitam - 3/ Valitōrukam - 4/ Apaviddam - 5/ Samanakam
6/ Līnam - 7/ Swastikarēchitam - 8/ Manḍalaswastikam - 9/ Nikuṭṭakam - 10/ Ardhanikuṭṭam
11/ Kaṭīchinnam - 12/ Ardharēchitam - 13/ Vakśaswastikam - 14/ Unmattam - 15/ Swastikam
16/ Pṛṣṭhaswastikam - 17/ Dikswastikam - 18/ Alātam - 19/ Kaṭīsamam - 20/ Ākśiptarēchitam
21/ Vikśiptākśiptam - 22/ Ardhaswastikam - 23/ Añchitam - 24/ Bhujaṅgatrāsitam - 25/ Ūrdhvajānu
26/ Nikuñchitam - 27/ Mattalli - 28/ Ardhamattalli - 29/ Rēchitanikuṭṭam - 30/ Pādāpaviddakam
31/ Valitam - 32/ Gūrṇitam - 33/ Lalitam - 34/ Daṇḍapakśam - 35/ Bhujaṅgatrastarēchitam
36/ Nūpuram - 37/ Vaiṣākharēchitam - 38/ Bhramaram - 39/ Chaturam - 40/ Bhujaṅgāñchitam
41/ Daṇḍarēchitam - 42/ Vṛśchikakuṭṭitam - 43/ Kaṭībhrāntam - 44/ Latāvṛśchikam - 45/ Chinnam
46/ Vṛśchikarēchitam - 47/ Vṛśchikam - 48/ Vyamsitam - 49/ Pārśvanikuṭṭakam - 50/ Lalāṭatilakam
51/ Krāntam - 52/ Kuñchitam - 53/ Chakramaṇḍalam - 54/ Urōmaṇḍalam - 55/ Ākśiptam
56/ Talavilāsitam - 57/ Argaḷam - 58/ Vikṣiptam - 59/ Āvartam - 60/ Dōlāpādam
61/ Vivṛttam - 62/ Vinivṛttam - 63/ Pārśvakrāntam - 64/ Niṣumbhitam - 65/ Vidyutbhrāntam
66/ Atikrāntam - 67/ Vivartitakam - 68/ Gajakrīḍitam - 69/ Talasamsphoṭitam - 70/ Garuḍaplutam
71/ Gaṇḍasūchī - 72/ Parīvṛttam - 73/ Pārśvajānu - 74/ Gṛdrāvalīnakam - 75/ Sannatam
76/ Sūchī - 77/ Ardhasūchī - 78/ Sūchīviddham - 79/ Apakrāntam - 80/ Mayūralalitam
81/ Sarpitam - 82/ Danḍapādam - 83/ Harinaplutam - 84/ Prēnkōlitam - 85/ Nitambam
86/ Skalitam - 87/ Karihastam - 88/ Prasarpitam - 89/ Simhavikrīḍitam - 90/ Simhākarṣitam
91/ Udvṛttam - 92/ Upaśṛtam - 93/ Talasaṅghaṭṭitam - 94/ Janitam - 95/ Avahittakam
96/ Nivēśam - 97/ Ēlakākrīditam - 98/ Ūrūdvṛttam - 99/ Madaskalitam - 100/ Viṣṇukrāntam
101/ Sambhrāntam - 102/ Viśkhambam - 103/ Udghaṭṭitam - 104/ Vṛśabhakrīḍitam - 105/ Lōlitam
106/ Nāgāpasarpitam - 107/ Śakaṭāsyam - 108/ Gaṅgāvataranam
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karana n°40 : "Bhujanganchitam"
*Angahara : combinaison de plusieurs unités de danse (karana).
Trente-deux angahara sont répertoriés dans le Natya Shastra
Extrait du Natya Shastra :
30-34. The combined [movements of] hands and feet in
dance is called the karana. Two karana will make one matrka,
and two, three, or four matrka will make up one angahara...
"I shall now speak of the hand and feet movements making up these karana."
56. Foot movements which have been prescribed for the exercise of sthana and cari will apply also to these karana.
57. And application of the nrtta-hasta which have been prescribed for dance is generally implied in the karana.
58. The sthana, the Cari and the nrtta-hasta mentioned
(before) are known as the matrka the variations of which are called the karana.
*Recaka : mouvements des différentes parties du corps
1 - Pada recaka = mouvement des pieds
2 - Kati recaka = mouvement du buste
3 - Hasta recaka = mouvement des mains
4 - Griva recaka = mouvement du cou
Padma Subrahmanyan compare les recaka en danse, au gamaka en musique carnatique.
Ce sont ces petits mouvements (recaka), de toutes les parties du corps qui rendent la danse
vivante, pétillante, sensuelle et offre une liberté d'interprétation.
De la même manière, le gamaka, façon très particulière d'aborder la note, de tourner autour,
donne une couleur, indique le caractère, la particularité du raga.
D'où l'importance pour un danseur d'avoir aussi une connaissance de la musique afin de pouvoir vivre
la danse de manière musicale.
Dans les deux cas, nous pouvons parler de saveur !
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Karana : explication/démonstration
Padma Subrahmanyam a créé son propre style à partir de ces karana. A partir de l'observation des sculptures et d'une étude méticuleuse des textes anciens où chaque position de la tête, des mains et des jambes est décrite, elle recrée le mouvement avant, pendant et après la pose sculptée en considérant que cette "pose" est un passage, un moment bref et non une posture définie, une finalité en soi, de la même manière que l'on prendrait une photo à un moment donné du mouvement.
Très critiquée par le monde de la danse classique indienne à Madras, lui reprochant d'appeler bharatanatyam un style extrêmement personnel, basé sur cette recherche du mouvement initiée par les karanas, elle renommera son style « bharatanrityam ».
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Il n'y a pas qu'une seule interprétation possible de ces mouvements.
Les karana sont une source inépuisable d'inspiration pour toute personne qui s'intéresse
et travaille sur le mouvement.
Je vous proposerai à l'avenir une, voire plusieurs master class
avec des personnes qui se sont penchées de très près sur le sujet !
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